Adam D'Angelo (Quora) "Les revenus générés par Poe sont aujourd'hui suffisants pour couvrir nos coûts"
Adam D'Angelo, fondateur de Quora et administrateur chez OpenAI, détaille la genèse et les ambitions de Poe, la plateforme de chatbots basés sur des modèles d'intelligence artificielle, ainsi que de sa vision de l'avenir de l'IA.
En février 2023, Quora a lancé Poe, une interface permettant d'accéder à une multitude de chatbots IA. Ce 10 janvier, vous annoncez une levée de 75 millions de dollars pour le développer davantage. Quelles ont été les étapes qui ont conduit à sa création ?
Historiquement, nous avons toujours beaucoup investi dans l'apprentissage automatique avec Quora, notamment à des fins de personnalisation. Nous suivions de près les progrès de l'IA et nous avons réalisé que cette technologie pourrait se montrer utile pour générer des réponses et interactions rapides. Au début de l'année dernière, nous avons commencé à expérimenter l'utilisation de l'IA pour proposer des réponses à des questions récurrentes sur Quora en utilisant GPT-3. La force de l'IA générative est de pouvoir répondre instantanément à n'importe quelle question, même si la qualité des réponses est souvent inférieure aux réponses rédigées par des humains. En août dernier, nous avons commencé à travailler sur une nouvelle interface de chatbot IA baptisée Poe en choisissant d'intégrer des modèles existants. Poe et Quora sont deux produits différents, même s'ils sont gérés par la même entreprise.
Poe permet d'interagir avec un large choix de LLM à l'instar de ChatGPT, Claude, Llama 2, Stable Diffusion, etc. Votre ambition est-elle de faire de Poe l'interface globale pour utiliser tous les modèles d'IA ?
Exactement. Notre objectif avec Poe est de permettre à nos utilisateurs d'interagir avec une large variété de LLM selon leurs préférences. Nous adoptons ici la même philosophie que sur Quora où nous n'écrivons pas de réponses nous-mêmes mais permettons à n'importe qui de le faire.
Aujourd'hui, les LLM disponibles sont basés sur le texte et l'image mais nous proposerons prochainement des modèles basés sur la vidéo, l'audio, etc. Nous permettons également à nos utilisateurs de les utiliser pour créer leurs propres agents conversationnels.
Vous avez déclaré vouloir aider les créateurs de modèles d'IA à gagner de l'argent. De quelle manière ?
Ma conviction est que le métier de créateur de modèles IA va devenir un emploi à plein temps pour un grand nombre de personnes. Le problème est que les coûts d'infrastructure, notamment en ce qui concerne l'utilisation des GPU nécessaires au fonctionnement de ces modèles, restent très élevés. C'est pourquoi nous avons développé un programme de partage des revenus permettant de mieux rémunérer ces créateurs. Ces derniers peuvent choisir de rendre l'accès à leur modèle payant au-delà d'un certain nombre de messages. Nous partageons aussi une partie des revenus dans le cas où l'usage de leur bot conduit un utilisateur à s'abonner à Poe.
"Un grand nombre de modèles d'IA vont apparaître au cours des prochaines années"
Cette option liée au partage des revenus est-elle disponible en France ?
Pour le moment, elle est opérationnelle uniquement aux Etats-Unis. Il nous reste encore du travail avant de pouvoir la rendre disponible à plus grande échelle, notamment en ce qui concerne la traduction des conditions de service et autres détails logistiques. J'espère que nous pourrons proposer cette fonctionnalité dans d'autres pays d'ici quelques semaines.
En novembre dernier, OpenAI a annoncé le lancement d'un GPT store et la possibilité de personnaliser des assistants. Est-ce que cette annonce a eu des conséquences sur votre vision et votre stratégie ?
Non, cela n'a pas impacté notre stratégie. Je suis convaincu que ce marché va devenir énorme et qu'il y aura de la place pour plusieurs entreprises et produits différents. L'IA va jouer un rôle majeur dans notre quotidien, que ce soit pour nous aider à résoudre des problèmes, nous divertir, etc. Poe est un client important d'OpenAI mais aussi d'Anthropic, de Google et de nombreux autres fournisseurs de modèles IA. Nous n'entraînons pas de modèles nous-mêmes. Notre facteur différenciant est d'avoir fait le choix d'agréger des technologies créées par d'autres.
Pourquoi justement avoir fait ce choix alors que Quora dispose d'une précieuse base de données qui permettrait d'entraîner un LLM ?
"Nous n'excluons pas de créer notre propre modèle dans les années à venir"
La technologie n'est pas encore assez aboutie pour pouvoir utiliser un modèle existant et l'entraîner sur l'ensemble des données disponibles sur Quora. Nous préférons ainsi laisser le soin à d'autres d'entraîner les leurs pour les rendre accessibles via notre interface. Pour autant, nous n'excluons pas de créer notre propre modèle dans les années à venir.
Quel est le modèle de revenus de Poe ? Prévoyez-vous, à l'instar de Quora, de monétiser Poe avec de la publicité ?
Nous proposons actuellement un abonnement d'une vingtaine de dollars par mois donnant accès aux modèles les plus coûteux à l'instar de GPT4 ou Claude 2. Une offre qui, même si elle est bon marché - 22,99 euros par mois ou 229,99 euros par an – nous permet de réaliser une marge. Nous sommes également heureux de compter un nombre important d'utilisateurs gratuits. Intégrer de la publicité dans le futur est une possibilité, mais nous avons actuellement d'autres priorités. D'autant que les revenus générés avec les abonnements sont aujourd'hui suffisants pour couvrir nos coûts.
Vous êtes membre du conseil d'administration d'OpenAI. Pourriez-vous donner votre version sur les faits qui ont conduit à l'éviction, puis au retour, de Sam Altman en tant que CEO ?
Désolé mais il m'est impossible de m'exprimer sur ce sujet jusqu'à ce que les choses reviennent à la normale. Je peux simplement vous orienter vers un tweet rédigé par Sam, que j'ai retweeté sur mon propre compte X.
I recognize that during this process some questions were raised about Adams potential conflict of interest running Quora and Poe while being on the OpenAI Board. For the record, I want to state that Adam has always been very clear with me and the Board about the potential
— Sam Altman (@sama) November 30, 2023
Pensez-vous que nous soyons encore loin du développement d'une AGI (Artificial General Intelligence, ndlr), autrement dit d'une IA capable de raisonner comme un humain ?
Il est très difficile de le prédire. Les progrès réalisés actuellement sont incroyablement rapides. En utilisant GPT-4, il est déjà possible de se faire une idée de son intelligence et de la distance qui sépare ses capacités de ce qu'un humain peut faire. Dans certains domaines et pour accomplir certaines tâches, ce modèle peut se montrer meilleur et plus rapide qu'un humain. Pour autant, il reste également limité. Je ne sais pas combien de temps cela prendra avant de combler le fossé restant entre ce que l'IA peut faire et ce que vous ou moi pouvons faire. Mais cet écart va continuer de se réduire chaque année.
Prévoyez-vous, à terme, de fusionner Poe et Quora en une seule plateforme ?
Non, je ne pense pas. Poe est une interface basée sur le chat et les échanges rapides en temps réel. De son côté, Quora met à disposition des connaissances partagées par des personnes réelles. Les réponses humaines restent d'ailleurs plutôt bonnes comparées à celles générées par l'IA, mais cette technologie peut se montrer particulièrement utile lorsqu'aucune réponse humaine n'est pas disponible. Pour autant, nous intégrerons sans doute des fonctionnalités d'IA dans Quora. Cette technologie pourra aider à mieux comprendre l'information. Par exemple, une idée qui me semble intéressante serait de pouvoir générer une image ou un diagramme grâce à l'IA afin d'expliquer ou d'illustrer une réponse textuelle.
Quels sont vos projets pour les années à venir ?
Tous nos efforts se concentrent actuellement sur Poe et nous ne prévoyons pas de lancer d'autres projets à court terme. La plateforme connaît une forte croissance et nous voulons nous assurer d'agréger les derniers LLM. En plus de la génération images, les utilisateurs de Poe pourront ainsi utiliser des modèles d'IA pour générer de la vidéo et de l'audio. Nous voulons rendre l'expérience moins centrée sur le dialogue textuel et ainsi permettre à nos utilisateurs d'interagir avec tous les modèles d'IA multimodaux existants.
Vous avez été CTO de Facebook entre 2006 et 2008, mais aussi investisseur et conseiller d'Instagram avant son rachat par Meta. Comment voyez-vous l'avenir de la plateforme à l'ère de la génération d'images par l'IA ?
Je ne pense pas qu'un réseau social basé sur des images générées par l'IA puisse réellement remplacer Instagram. Si vous regardez ce que les utilisateurs font sur cette plateforme, ce n'est pas nécessairement centré autour de l'esthétisme des photos, mais plutôt des relations humaines. Lorsque nous nous connectons sur Instagram, nous cherchons avant tout à découvrir l'actualité des personnes qui nous tiennent à cœur. Ces informations sont exprimées à travers des photos ou vidéos. Pour autant, l'IA jouera sans doute un rôle intéressant pour améliorer des photos ou exprimer sa créativité de différentes manières. Par exemple en remplaçant votre tenue par une autre ou en générant des vidéos vous mettant en scène dans certaines situations. L'IA sera, à mes yeux, un outil permettant de mieux communiquer, mais les relations humaines resteront au centre des motivations des utilisateurs.
Adam D'Angelo est le fondateur et PDG de Quora, une plateforme de questions-réponses qui attire plus de 400 millions de visiteurs uniques par mois dans le monde entier. Récemment, l'entreprise a lancé Poe, une plateforme de chat basée sur l'intelligence artificielle. Avant de créer Quora en 2009, Adam D'Angelo occupait le poste de directeur technique (CTO) chez Facebook entre 2006 et 2008. Il a obtenu un Bachelor en informatique du California Institute of Technology. Il est également membre du conseil d'administration de OpenAI et d'Asana.