Les grandes plateformes à l'assaut des marketplaces d'influenceurs
Facebook, Snap ou TikTok permettent aux marques de passer par des interfaces dédiées pour contacter leurs influenceurs les plus populaires. Quitte à évincer les acteurs historiques de la pratique ?
Snap, nouvel acteur fort de l'influence marketing ? Le réseau social a annoncé début mai le lancement d'une marketplace permettant aux annonceurs d'entrer en relation avec un pool de créateurs maison. D'abord réduite à un cercle restreint de Snapchateurs, cette interface doit, dès 2022, être ouverte à tous les créateurs de contenus présents au sein de l'application de partage de photos éphémères. Objectif annoncé : faciliter les collaborations entre les marques et la communauté de créateurs présents sur Snap. Pas un luxe à en croire Caroline Matz, directrice de la communication de Reech. "Notre dernière étude montre que Snap est classé loin parmi les réseaux sociaux préférés des influenceurs, à la 8e place, rappelle cette spécialiste de l'influence marketing. Snap est à la traîne en ce qui concerne la relation aux influenceurs et se devait de redresser la barre."
Snap a, il est vrai, un peu de retard sur ses concurrents. Twitter avait lancé le mouvement en 2015 avec le rachat de Niche, agence qui mettait marques et influenceurs en relation. Google avait fait de même, un an plus tard, avec le rachat d'une plateforme connectant Youtubeurs et marques, Famebits. D'autres mastodontes comme Facebook, Twitch et TikTok ont fait le pari d'un déploiement en interne. Facebook a annoncé lancer sa place de marché courant 2018. Peu d'informations ont depuis filtré concernant cette dernière, qui ne semble ouverte qu'à un cercle restreint d'influenceurs et de marques. Twitch a lancé son programme BountyBoard quand TikTok a très rapidement déployé sa marketplace de créateurs.
"Les plateformes veulent mettre la main sur des budgets qui leur échappaient jusque-là"
"Toutes les plateformes s'y sont mises pour mettre la main sur des budgets qui leur échappaient jusque-là", analyse le fondateur de la solution d'influence marketing Kolsquare, Quentin Bordage. Des budgets qui n'ont de cesse d'augmenter alors que les marques sont de plus en plus nombreuses à lancer des opérations d'influence marketing. Le marché est estimé à près de 13,8 milliards de dollars en 2021, selon cette étude d'Influencer Marketing Hub. Difficile pour Facebook, Google et consorts de faire l'impasse sur un tel gisement de croissance alors qu'ils doivent, dans le même temps, faire face au ralentissement annoncé de leur activité publicitaire "traditionnelle". Le nombre d'utilisateurs ne croira pas éternellement, pas plus que les nouveaux emplacements publicitaires.
Les spécialistes de l'influence marketing comme Reech ou Kolsquare doivent-ils s'inquiéter de cette nouvelle concurrence ? Qui mieux que Facebook pour dire aux annonceurs quels sont les influenceurs qu'il devrait activer au sein d'Instagram ? Ou que Google pour faire de même au sein de Youtube ? Quentin Bordage est plutôt serein. "La première étape d'une stratégie d'influence marketing, c'est de comprendre où est son audience et comment l'adresser", rappelle le dirigeant. Le recours aux marketplaces des différentes plateformes ne permet pas de répondre à cette question existentielle. "Les marques ont besoin d'un partenaire qui les aide à mettre en place une stratégie d'audience cross-plateformes. L'identification des influenceurs qui permettront de toucher cette audience ne vient, elle, que dans un second temps", ajoute Quentin Bordage.
"Chacun aura intérêt à gonfler ses statistiques pour vous inciter à investir plus chez lui. D'où la nécessité de faire appel à des tiers de confiance."
"Notre rôle c'est d'accompagner les marques de A à Z dans la mise en œuvre d'une campagne qui répond à leurs objectifs", abonde Caroline Matz. La dirigeante estime que les marketplaces de Facebook et consorts ne répondent pas à ce besoin. "Ce serait un retour à la case départ pour les annonceurs que de devoir dealer en direct avec chacune des plateformes", assure Caroline Matz. Et aussi une perte de temps. C'est chronophage et pas toujours efficace. "Les annonceurs ont besoin d'outils pour consolider les données en provenance des différentes plateformes où chaque influenceur est présent. C'est important car un même influenceur peut être très bon sur TikTok mais mauvais sur Snap… et inversement", analyse Quentin Bordage. Le fondateur de Kolsquare estime par ailleurs qu'il serait problématique que les annonceurs fassent confiance à des plateformes qui sont juge et partie. "Chacun aura intérêt à gonfler ses statistiques pour vous inciter à investir plus chez lui. D'où la nécessité de faire appel à des tiers de confiance." Même son de cloche chez Caroline Matz. "Les marketplaces de plateformes ne sont pas menaçantes pour des acteurs comme Reech, qui sont neutres et conseillent donc les marques en fonction de leur intérêt."
Ces marketplaces pourraient toutefois devenir une menace si Facebook et consorts se décidaient à limiter la marge de manœuvre de leurs nouveaux concurrents. Pour faire les meilleures recommandations possibles à leurs clients, Reech comme Kolsquare, ont besoin des API de Facebook, Twitter, TikTok et Youtube. Ils s'en servent pour analyser toute une série de données relatives aux influenceurs présents sur ces plateformes. "On travaille en bonne intelligence", assure Quentin Bordage.
"Si vous n'êtes pas un gros acteur américain, vous n'avez aucune marge de manœuvre vis à vis de Facebook"
Jusqu'à quand ? Car rien n'empêche les réseaux sociaux de réduire progressivement l'accès de ces acteurs à leur API. Snap, qui fonctionne en vase clos, le fait d'ailleurs déjà. Aucune marketplace d'influenceurs ne peut y "crawler" de la donnée. Facebook, qui a eu maille à partir avec la justice pour des scandales de data leakage tels que Cambridge Analytica, le fait de plus en plus. "Il y a 10 ans de cela, on pouvait accéder à énormément d'informations relatives à l'audience d'un influenceur via l'API de Facebook : la répartition par tranches d'âge, par genre, par localisation ou encore les centres d'intérêts, se rappelle un patron d'agence. Aujourd'hui, les plus privilégiés accèdent seulement aux données relatives aux posts de l'influenceurs comme le nombre de like, de commentaires…" Facebook a, au fil des années, fermé les vannes et durci les audits des outils partenaires. Et il est devenu de plus en plus compliqué pour les acteurs concernés de plaider leur cause. "Si vous n'êtes pas un gros acteur américain, vous n'avez aucune marge de manœuvre et les échanges avec Facebook sont de plus en plus rares, voire inexistants", déplore un acteur du social listenning.
L'Allemand Influencer DB en sait quelque chose, lui dont l'accès à l'API de Facebook a été retiré du jour au lendemain. "Facebook lui a reproché de ne pas respecter ses CGU. C'est sans doute vrai mais c'est le cas de la plupart des social listeners qui font tous des choses un peu limites", analyse notre spécialiste de la pratique. "Facebook invoque des raisons de privacy mais on peut se demander s'il n'y a pas des raisons business derrière ça", poursuit un concurrent. Profiter de leur position dominante pour évincer une menace est devenu une habitude chez les géants du Web. De plus en plus présent sur le volet e-commerce, Facebook pourrait s'appuyer sur l'influence marketing pour maîtriser l'ensemble de la chaîne de valeur. "Les marques mettraient un peu de budget sur Instagram en paid media, une autre partie en influence et pourraient voir directement dans leur interface l'impact sur leurs ventes. C'est hyper vertueux", conclut notre anonyme.