Doit-on choisir entre transition écologique et innovation technologique ?
L'innovation dans le numérique est-elle le poison ou bien le remède pour atteindre un monde décarboné ? Les deux notions souvent opposées peuvent pourtant être complémentaires.
Que ce soit dans notre vie personnelle ou professionnelle, nous n’avons jamais autant utilisé le numérique : réseaux sociaux, streaming, e-mail, partage de documents en temps réel, achats en ligne, aide à la navigation avec le GPS, etc. Derrière chacun de ces usages, il y a des milliards de données que nous utilisons sans le savoir : elles sont partout, disponibles et accessibles
immédiatement et à tout moment. Sans surprise, l’empreinte environnementale du numérique fait partie des mauvais élèves, représentant 10 % de la consommation mondiale d’électricité et 4% des émissions de CO2. L’évolution actuelle de nos usages devrait même doubler cette empreinte carbone d’ici 2025. Pourtant, l’innovation dans le numérique et la transition
écologique ne doivent pas être opposées.
L’innovation technologique et le digital peuvent contribuer massivement à relever le défi du changement climatique car le numérique est qualifié de "pharmakon" ; en grec ancien, "le poison et le remède". Nous parlerons alors de numérique responsable, ou Green IT, dès lors que l’on agira pour réduire l’empreinte carbone de la structure et des équipements digitaux que l’on utilise ou bien d’IT for Green dès lors que l’on utilisera le numérique pour réduire ses consommations plus largement. Innover pour réduire massivement ses consommations : le Green IT est l’un des premiers défis du digital. Il s’appuie sur l’utilisation de tous les leviers possibles pour réduire l’effet du numérique sur l’environnement. Organisations et entreprises peuvent mettre en place rapidement ou à moyen terme une série d’actions :
● Prolonger la durée de vie des équipements (ordinateurs, smartphone, imprimantes, écrans, etc.). Environ 80% de l'empreinte carbone du numérique provient de la fabrication de nouveaux équipements. Il est donc essentiel de faire durer ses appareils plus longtemps ou bien d’utiliser des appareils reconditionnés dès lors qu’il est possible de le faire.
● Recycler son matériel. Tout ou partie pourra être réutilisée pour construire de nouveaux équipements ou de nouveaux produits.
● Redéfinir l’usage de la technologie en interne. Trier ses mails, éviter de mettre sa caméra dans les réunions où cela n’est pas nécessaire, éviter les transferts de pièces jointes volumineuses en préférant un système de mise à disposition de document à distance, etc.
● Étudier ses besoins de stockage pour mieux les maîtriser. Éviter des volumes inutiles de données, qui consomment beaucoup d’énergie en stockage et qui émettent du CO2 par leur mise à disposition en permanence.
Le Cloud : la cure miracle du numérique ?
Sur le point du stockage, plusieurs idées s’affrontent. Le stockage de données appartenant à l’entreprise et que l’on retrouve sur des serveurs locaux (on premise) ou bien le stockage dans Cloud. A première vue, l’utilisation du Cloud ne présente que des avantages : à capacité de stockage égale, les Data Center cloud consomment moins d’énergie que les serveurs on premise. En effet, en mutualisant leurs machines, les géants du stockage en ligne (hyper scalers) les utilisent quasiment en permanence à leur capacité maximale. Or, dans la situation de référence on premise, les serveurs sont utilisés bien plus fréquemment sous leur capacité nominale. Le cloud induirait donc un gain de matière (moins de machines nécessaires pour un même besoin) et un gain d’énergie (car les machines ne consomment pas nécessairement beaucoup plus si elles fonctionnent à pleine capacité). De plus, ces données sont disponibles 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, sans limite d'usage.
Le Cloud ne dispose donc que d’avantages ? Pas forcément ! Et c’est bien là tout le problème du Cloud, on ne sait pas encore s’il est le remède ou le poison, à cause de l'effet rebond.
En payant a posteriori en fonction de l’usage, les clients du cloud ont une impression de capacité infinie et ne maîtrisent plus autant leurs consommations de données. Il n’y a plus de cadrage de leurs capacités de stockage, avec des serveurs sur site limités en stockage. Plus généralement, le cloud est autant une réponse à la stratégie digitale des entreprises qui repose justement sur une forte inflation des données traitées, qu’une réponse permettant de limiter les impacts de cette inflation. Une approche s’est distinguée pour maîtriser ces consommations de données cloud : l’approche FinOps, de par la contraction des termes “finance” et “opération”. Celle-ci vise à trouver un juste équilibre entre le budget et les dépenses attribuées aux services cloud d'une part, (cloud computing) et la performance et l'innovation IT recherchées en termes business d'autre part.
Une solution unique de réduction des émissions de CO2, à implémenter partout ?
Non. Chaque entreprise étant spécifique par son activité, son organisation et ses choix stratégiques, il est important de se faire accompagner pour identifier exhaustivement toutes les actions qui peuvent être mises en place, et concevoir celles qui n'existent pas encore. Instaurer le numérique responsable peut permettre à son entreprise de développer son activité et contribue en partie à répondre à l’obligation de réduction des consommations et de l’ empreinte carbone (Décret Tertiaire pour les consommations énergétiques ou Fit for 55 de la Loi Énergie Climat pour la neutralité carbone en 2050). Pour l’un de ses partenaires ayant 500 traders en salle de marchés, l’entreprise Talan a réalisé l’effacement d’une partie de la consommation électrique de ses Data Centers. Le concept a été d’étudier et de catégoriser un grand volume de données (de l’ordre du pétaoctets - 1 Po = 10 15 octets), en définissant une hiérarchisation des accès et des stratégies de stockage en fonction des besoins métiers. Les données ont donc été classées en données chaudes ou froides, rendant leur accès immédiat ou accessible sur-demande, sous quelques heures. Pour les données accessibles sur demande, il est possible de les stocker hors-ligne dans des serveurs que l’on peut éteindre et allumer sur demande ou selon un calendrier défini.
Le numérique a ses raisons... Qu’il faut raisonner !
Il ne faut pas voir la technologie responsable comme un vecteur de décroissance. Il ne faut pas avoir peur d'utiliser le numérique. La technologie est le remède du numérique responsable, dès lors que nous l’utiliserons de manière raisonnée. En sachant que toute nouvelle technologie que nous déployons vient piocher dans les ressources de la planète, il faut s’orienter vers les choix les plus judicieux pour maximiser les performances, diminuer les consommations électriques et l’empreinte carbone des outils numériques.