Ce qui fait vivre brillamment peut aussi vous affaiblir. Le talent individuel de l’avocat, sur lequel se fonde la confiance du client, vient buter sur la nécessité du travail collectif pour se développer.
Le développement des cabinets d’avocats, qui regroupent des spécialités diversifiées, obéit à une double nécessité. Chez les clients, la demande de disponibilité et d’une offre complète sur tous les segments du droit. Et chez les avocats, la prise de conscience des limites de l’action individuelle, qui appelle une association en vue d’un vrai travail d’équipe.
Au fil du temps, la réponse à ces deux types de besoins est souvent mise à mal. Les écarts se creusent entre les complémentarités attendues et les réalités de la vie d’entreprise. La synergie espérée n’est pas au rendez-vous et les débuts prometteurs s’évanouissent dans les discordances progressives.
Cela tient-il à des questions de personnes ? À des ego surdimensionnés ? À des distances trop marquées entre les acteurs ? À des défis économiques non relevés ? À un projet d’entreprise mal ficelé, voire inexistant ? À une absence de stratégie et de valeurs partagées ?… Probablement et, dans la plupart des cas, à une conjonction de ces facteurs.
Les stratégies personnelles, les difficultés relationnelles et les considérations économiques s’intriquent pour déboucher en mésententes, en désaccords, en rivalités et finalement en conflits, qui minent nombre de cabinets d’avocats de l’intérieur.
Le paradoxe de l’avocat
La réussite dans la profession d’avocat dépend d’un facteur-clé : la personnalité, ce mélange unique de compétence et de charisme. Les clients ne s’y trompent pas : ils exigent souvent d’être défendus ou conseillés par tel individu, sur sa réputation. Les jeunes avocats doivent faire la preuve de leurs qualités personnelles pour espérer être « repérés » et progresser.
Mais cette primauté de l’acteur individuel, qui fait la réussite et la richesse dans la profession, est aussi un facteur majeur d’affaiblissement lorsqu’elle devient excessive. Toute la question est alors d’accepter et de vivre le meilleur compromis possible entre la force de la personne et la synergie d’une équipe formée d’individualités brillantes. La réunion de spécialistes sous un même toit, partageant des murs et des meubles, peut alors faire mieux et tendre vers une vraie entreprise.
Comment préserver la pertinence et la pérennité de cette réalité duale ? Comment renforcer le lien entre l’individuel et l’ensemble ? Quand les désaccords sont là, et avant d’envisager un bon ou un mauvais « divorce », il importe d’abord de démêler les fils des mésententes, d’éteindre les « incendies » déjà déclarés et de faire émerger une perspective neuve pour tous les acteurs. Pour cela, un accompagnement (coaching et/ou médiation) est souvent nécessaire.
Trouver un accord sur les désaccords
Il ne s’agit pas seulement de traiter le problème identifié. Il faut aussi désamorcer les problèmes encore en germe, préparer un avenir neuf et aller jusqu’à sa mise en œuvre.
1. Traiter
La prévention de risques relationnels encore hypothétiques est loin d’être une pratique répandue… Les signaux faibles de distance ou de dissension entre les acteurs ne parviennent pas à engendrer une véritable préoccupation, et c’est seulement quand la question relationnelle s’installe de façon profonde et aigüe que l’impératif d’un traitement s’impose.
Le désaccord entre associés est un « écart », dont l’émergence est progressive ou brutale, et qui porte le plus souvent sur les attitudes, les opinions, les analyses et les jugements de valeur, la perception de l’efficacité du travail réalisé ou du comportement à l’égard du client.
Traiter va donc consister à identifier le ou les écarts qui causent le désaccord, pour les réduire, mais sans prétendre les résorber entièrement. Traiter, c’est, pour les acteurs concernés, entamer avec un travail de « réparation », qui ne conduit pas à une guérison… En tout cas, pas tout de suite !
2. Désamorcer
Les désaccords existants contiennent les germes de prolongements et d’explosions futures incontrôlables. Le traitement des écarts existants, tout en agissant sur les premières causes de divergence, permet aussi de désamorcer les nouvelles sources de dissension et de conflit.
Désamorcer, c’est d’abord pressentir et estimer les risques de dégradation dans l’avenir, en particulier :
- La transformation des « questions de personnes » en divergences stratégiques (la réciproque étant elle aussi fréquente).
- La transformation des questions matérielles en problèmes relationnels. Il peut s’agir de questions très simples, comme l’agencement des bureaux ou le mobilier, sur lesquelles les divergences de vision ou de goût peuvent se convertir en distances relationnelles aiguës. Ou ce peut être des questions plus complexes comme une répartition de certaines activités, d’avantages ou de revenus, qui génère rancœurs et ressentiments tenaces.
Et c’est, en conséquence, l’élévation du degré de vigilance et l’imagination de nouvelles donnes relationnelles.
3. Anticiper
Les acteurs sont alors en mesure de discerner des modes de fonctionnement alternatifs et praticables. Ils disposent d’un socle pour entrer dans une vraie démarche d’anticipation.
Cette démarche permet de « visionner » un futur différent, et surtout de parvenir à un partage suffisant des visions de chacun des associés, sur ce que devrait être leur entreprise, au-delà d’une addition de spécialités. La démarche aboutit à la formulation de choix neufs :
- des choix de fonctionnement quotidien stimulants,
- des choix d’évolution ou de transformation des schémas relationnels antérieurs,
- des engagements de rupture avec ces derniers.
4. Bâtir
Il faut donc faire émerger une réalité nouvelle et mettre en œuvre ses principaux leviers. Dans ce dernier point, on passe de la formulation des choix d’évolution ou de rupture à leur concrétisation. Les acteurs concernés restent fondamentalement maîtres des types de moyens à mettre en œuvre, en fonction de leurs préférences, de leurs ressources et de la vision partagée qu’ils ont construite.
Mais passer de la formulation des choix à leur concrétisation n’est évidemment pas automatique. L’effort de finalisation porte particulièrement sur deux axes :
- Soutenir la motivation, laquelle a une tendance « naturelle » à faiblir sous l’emprise du quotidien et des réflexes acquis. La persévérance et la confiance dans un aboutissement préférable à la situation dont on sort passe par la transformation des réflexes en réflexions applicables.
- Valoriser les choses bien faites et des petits progrès au quotidien, en créant une ambiance profitable. Ne donner du poids et du prix qu’aux événements positifs majeurs n’aide pas beaucoup dans l’écrasante banalité des tâches quotidiennes… En revanche, mettre l’accent sur les petits succès, les bonnes paroles, les moments simples et efficaces, ravive non seulement les pratiques de tous les jours, mais crée aussi une ambiance motivante pour l’accueil et la valeur de l’exceptionnel.