Tous hypocondriaques...ou presque !
En matière de communication santé : trop de prévention tue-t-elle la prévention ?
Vous ressentez brutalement une faiblesse d'un côté du corps, vous voyez les lignes droites se déformer, vous avez l'impression d'être enfermé dans une bulle,… Et bien, vous pouvez vous préparer soit à un AVC (accident vasculaire cérébral), à une DMLA (dégénérescence maculaire liée à l'âge), ou à une perte auditive, ce dernier point apparaissant, en comparaison, comme un moindre mal !
Tout au long de votre journée, affiches, spots TV ou publicités dans la presse se relaient pour vous alerter sur l'imminence des maladies qui peuvent vous frapper à tout moment. Un chiffre supérieur à 7, et vous voilà bon pour devenir diabétique. Supérieur à 2,5 : le mauvais cholestérol vous guette. Votre chien vous regarde durant votre câlin et vous perdez vos moyens : vous couvez peut être un gros problème d'érection. Vous vous découvrez un grain de beauté : c'est peut-être un mélanome. Vous sucrez votre café à l'aspartam depuis des années ? Vous mangez trop gras, trop salé ou trop sucré ? Vous ne faites pas de sport ? Vous ne mettez pas de préservatif ? Vous buvez, un peu, vous fumez… L'angoisse vous saisit devant l'issue prévisible de ces innombrables facteurs de risque…
Voilà bien la question du jour : trop de prévention tue-t-elle la
prévention ?
Bien entendu, nul ne peut contester l'effort de santé publique qu'a représenté l'intervention de la communication santé
directement auprès du grand public. Grâce à ces actions médiatiques - le plus
souvent de grande ampleur - le corps médical a pu révéler au grand jour
l'existence de ces fameux facteurs de risque. Grâce aux publicitaires, des
slogans accrocheurs et mémorisables ("les
antibiotiques c'est pas automatique" par exemple; sans oublier l'ancêtre de 1984 "un verre ça va, 2 verres bonjour les dégâts")
ont simplifié des problématiques médicales le plus souvent complexes en
incitant à des changements de comportements. Au total, un grand nombre de décès
évités, de vies prolongées, de pathologies maîtrisées.
Ainsi, après un très long détour qui glorifiait surtout l'acte
thérapeutique, la médecine a rejoint (à petits pas) les préceptes ancestraux de
prévention. Ceux de l'antiquité gréco-romaine ou de la médecine chinoise selon
laquelle le médecin est surtout rémunéré pour éviter que son patient ne tombe
malade.
Mais ces premiers succès ont suscité leur propre effet pervers. A
constater l'efficacité de la publicité "préventive", chaque Société
Savante, chaque Association de patients, chaque spécialiste de telle ou telle
pathologie, s'est mobilisé pour inciter chacun d'entre nous à se faire dépister
et/ou adopter un comportement hygiéno-diététique responsable.
Du coup, conscients de nos habitudes… inconséquentes, obnubilé par
notre poids, notre métabolisme, nos fonctions essentielles, notre alimentation,
notre hérédité, nos fréquentations, nous envahissons le net à la recherche
d'informations, consultons compulsivement le Vidal des familles, surlignons le
Larousse médical et profitons de la présence de n'importe quel médecin (de
préférence inconnu rencontré lors d'un dîner) pour lui déverser nos angoisses.
Nous voilà donc placés (malgré nous) dans un système de dissonance cognitive ou l'afflux de ces
périls potentiels nous contraint, non pas à les prendre en charge, mais à les
rejeter en bloc. Une attitude psychologique bien connue qui, face à un état de
tension angoissant, conduit l'individu à rejeter en bloc les messages ou à en
réduire la portée.
Comment conclure ce dilemme ? Ne pas communiquer serait impossible dans l'état avancé de nos
connaissances. Communiquer renforce les stratégies individuelles d'évitement,
la "pensée magique" grâce à laquelle ne pas voir le risque l'empêche
de survenir…
A vous de donner votre position …