CICE : le secret un peu honteux des grandes entreprises françaises
Des millions d'euros sont accordés aux groupes tricolores sous forme de crédit d'impôt compétitivité. Seuls quelques-uns l'admettent.
Du temps, il en aura fallu au JDN pour convaincre quelques-uns des fleurons de l'économie française de dévoiler le montant du crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE) dont ils bénéficient. Du temps et d'innombrables relances.
Pourtant, pour la petite histoire, c'est un homme du sérail, Henri Lachmann, ex-PDG de Schneider Electric, qui a aiguisé notre curiosité : "Qu'on ne me dise pas que les caissières de Carrefour contribuent à la compétitivité de la France", nous avait-il lancé lors d'une interview à l'automne dernier.
L'ancien patron s'insurgeait alors contre le mode de calcul de ce crédit d'impôt destiné à alléger le coût du travail qui, parce qu'il est assis sur le montant des rémunérations inférieures à 2,5 Smic (3 613,45 euros brut par mois en 2014), profite surtout aux entreprises issues de secteurs d'activité à forte concentration de métiers peu qualifiés, pas forcément exposés à la concurrence internationale qui plus est.
Ironie du sort, Schneider, qu'Henri Lachmann a dirigé pendant près de 10 ans, fait partie des 33 groupes sur les 49 contactés qui ont refusé de se prêter au jeu. Ils ne sont donc que 16 à nous avoir livré le montant de leur CICE au titre de 2013 et encore moins à nous avoir indiqué une estimation de la ristourne à imputer sur l'impôt dont ils s'acquitteront l'année suivante.
Entreprise | Secteur | CICE au titre de 2013 (millions €) | Estimation du CICE au titre de 2014 (millions €) |
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Source : JDN | |||
Air France-KLM | Transport | 40,0 | 57,0 |
Auchan | Distribution | 38,0 | 55,0 |
Axa | Finance | 9,7 | 14,6 (1) |
EDF | Energie | 68,0 | 102,0 (1) |
La Poste | Services | 297,0 | 445,5 (1) |
Lafarge | Industrie | 3,0 | 5,0 |
L'Oréal | Industrie | 8,0 | 12,0 (1) |
Orange | Communication | 79,0 | 118,5 (1) |
Pernod-Ricard | Agroalimentaire | 1,7 | 2,6 (1) |
PSA | Automobile | 80,0 | 120,0 (1) |
Safran | Industrie | 25,0 | 37,5 (1) |
Sanofi | Santé | 11,0 | 16,5 (1) |
SNCF | Transport | 118,0 | 177,0 (1) |
Technip | Services | 1,5 | 1,7 |
Total | Energie | 19,0 | 28,5 (1) |
Veolia Environnement | Services | 30,0 | 45,0 (1) |
Ces 16 grandes entreprises françaises cumulent une réduction d'impôt de 828,9 millions d'euros au titre de 2013, soit 8,3% du CICE, son coût total ayant été chiffré à 10 milliards d'euros. Un avantage fiscal qui devrait s'élever à 1,24 milliard d'euros pour ces mêmes entreprises lors du prochain exercice, puisque le taux du CICE passera de 4% de la masse salariale inférieure à 2,5 Smic au titre de 2013 à 6% au titre de 2014. Il ne représentera plus que 6,2% du CICE total, qui atteindra alors 20 milliards d'euros. Cela à condition que le montant et la structure de la masse salariale de nos 16 entreprises restent inchangés.
16 entreprises totalisent à elles seules 8,3% du crédit d'impôt compétitivité emploi
Alors, quels autres enseignements peut-on tirer de ce faible échantillon de répondants ? D'abord que l'Etat fait un cadeau aux siens : les 6 premiers bénéficiaires sont des entreprises publiques ou avec une forte présence de l'Etat au capital. La Poste arrive en tête, avec une baisse d'impôts de 297 millions d'euros en 2014 qui devrait bondir à 445,5 millions d'euros en 2015, selon nos estimations. Viennent ensuite la SNCF (118 millions d'euros au titre de 2013), PSA (80 millions d'euros), Orange (79 millions d'euros), EDF (68 millions d'euros) et Air France-KLM (40 millions d'euros, dont 28 pour Air France et 12 pour ses filiales).
A noter que les groupes dans lesquels l'Etat détient une participation se sont montrés plus coopératifs que les structures 100% privées. Les premiers ont répondu à 64% contre seulement 24% pour les secondes.
Parmi les répondants, les 6 premiers bénéficiaires sont des entreprises publiques ou avec une forte présence de l'Etat au capital
Les sociétés les plus silencieuses seraient-elles celles qui bénéficient le plus du CICE ? Pas forcément. Sur les trois banques interrogées, aucune n'a accepté de divulguer le montant de son crédit d'impôt, alors que la finance est censé être le secteur qui profite le moins du dispositif : selon le comité de suivi du CICE, seuls 35,1% de sa masse salariale est concernée, contre 89,9% dans l'hébergement-restauration par exemple. Sans surprise, Kering et LVMH, aussi spécialistes du luxe que du mutisme, ne se sont pas montrés plus loquaces.
A contrario, les deux géants du transport que sont Air France-KLM et la SNCF ont bien voulu indiquer au JDN le montant du crédit d'impôt qui leur était accordé.
Leurs homologues de l'énergie ont été presque aussi transparents : sur les trois interrogés, seul GDF Suez a refusé de nous communiquer son CICE. Dans l'hypothèse d'une masse salariale comparable à celle d'EDF, il est possible de l'estimer à 57 millions d'euros au titre de 2013 et à 85,5 millions d'euros au titre de 2014 (2).
Un calcul similaire nous permet d'évaluer la réduction d'impôt accordée à Carrefour à 84 millions d'euros au titre de 2013 (126 millions pour 2014), à structure de masse salariale comparable à celle d'Auchan cette fois-ci (3). C'est le mieux que nous puissions donner à Henri Lachmann.
(1) Estimation du JDN – et non de l'entreprise – à structure et montant de masse salariale constants
(2) Effectifs pris en compte dans ce calcul : 129 328 salariés d'EDF en France au 31 décembre 2012, d'après le site Internet du groupe, et 108 500 collaborateurs pour GDF Suez en France au 31 décembre 2011, selon un document de l'entreprise.
(3) Effectifs pris en compte dans ce calcul : 52 000 salariés en CDI chez Auchan France, selon les chiffres publiés par LSA en mars 2013 et 115 000 collaborateurs chez Carrefour France, d'après les chiffres publiés par la direction emploi et carrières de Carrefour France en novembre 2011.
Méthodologie
Les entreprises interrogées pour ce dossier sont celles du Cac 40 ainsi que les sociétés non cotées présentes dans le classement Global 500 du magazine américain Fortune.
Les 33 entreprises n'ayant pas souhaité communiquer le montant de leur CICE au titre de 2013 sont les suivantes, classées par ordre alphabétique : Accor, Air Liquide, Airbus Group, Alcatel-Lucent, Alstom, ArcelorMittal, BNP Paribas, Bouygues, BPCE, Capgemini, Carrefour, CNP Assurances, Crédit agricole, Danone, Essilor International, Foncière Euris, GDF Suez, Gemalto, Kering, Legrand, LVMH, Michelin, Publicis Groupe, Renault, Saint-Gobain, Schneider Electric, Société générale, Sodexo, Solvay, Unibail-Rodamco, Vallourec, Vinci, Vivendi.