Plus propre, moins chère et connectée : comment le village olympique 2024 crée la ville de demain
La société qui supervise la construction des ouvrages olympiques met l'Internet des objets au cœur de ses projets.
Les premiers édifices prévus dans le cadre des Jeux olympiques 2024 à Paris sont sortis de terre. Pour en montrer les avancées, la Solideo, la Société de livraison des ouvrages olympiques créée en 2017 et qui supervise la construction de 69 ouvrages, organise des visites du village olympique pour le public ce samedi 16 septembre à l'occasion des Journées du Patrimoine. Mais ce que les visiteurs ne voient pas, c'est que l'internet des objets (IoT) est au cœur de chaque projet. "Notre ambition avec ces ouvrages qui demeureront après les Jeux est d'aider à construire la ville de 2030. Il nous faut pour cela une stratégie pragmatique, et l'IoT peut représenter un outil idéal pour gérer les ressources dans la durée de manière efficiente", explique Michele Dominici, expert smart city et innovation chez la Solideo.
Dès la phase de conception et de chantier, la technologie a été mise à profit. Une quinzaine de capteurs de niveau de bruit ont été déployés pour éviter les nuisances sonores vis-à-vis des riverains, ainsi que des capteurs de niveau de qualité de l'air, des capteurs météorologiques et d'autres pour analyser les flux. De même, l'IoT sert à confirmer dans les bâtiments que les ambitions environnementales sont tenues. "Nous nous sommes engagés à fournir des bâtiments confortables dans le contexte d'un climat en 2050. Nous avons fait des simulations avec la maquette numérique pour nous assurer de l'efficacité de nos dispositifs et que l'écart de température entre l'intérieur et l'extérieur en été soit de 6°C maximum. Les mesures effectuées en ce début septembre 2023 par les capteurs nous ont confirmé que nous avions 10 degrés d'écart", se réjouit Michele Dominici.
L'IoT au service de l'air et de l'eau
L'IoT est également au cœur du fonctionnement des innovations les plus importantes de la Solideo. L'une d'entre elles est la création d'ilots de fraicheur au sein du village olympique. La Solideo entend aménager de nombreux îlots de fraicheur pour en faire des lieux de convivialité protégeant de la chaleur. Ce projet se base sur cinq innovations comprenant des objets connectés : la première est le traitement de l'air avec un nouveau produit conçu par l'entreprise Aérophile, connue pour son ballon du parc André-Citroën : les ombrières abritant les passants sur la place Olympique. Un peu plus loin, sur la terrasse des Quinconces, la société Starklab Terrao propose une solution de bancs cumulant également les deux fonctions, de rafraichissement et de dépollution de l'air. "L'IoT permettra de monitorer le dispositif au bon moment et d'en contrôler les effets", précise Michele Dominici. Par ailleurs, une solution de traitement de l'air par algues, elle aussi déclenchée au bon moment par les capteurs dans l'aire de jeux pour enfants, sera mise en place par Suez. Enfin, la Solideo prévoit l'utilisation de l'eau de pluie, en collaboration avec Emulithe notamment. Récoltée par un système perméable dans la chaussée et stockée dans un réservoir, cette eau servira à rafraîchir le site l'été dès que les capteurs météorologiques le jugent nécessaire, via des serpentins servant à réinjecter l'eau, vers des pavés drainants et rafraichissants. Cette dernière solution par exemple, qui répond à l'enjeu de la sauvegarde de l'eau dans les villes, bénéficie d'une subvention de 770 000 euros du fonds d'innovation et écologie de la Solideo.
Autre projet à venir : la préservation de la biodiversité. La Solideo va déployer des capteurs qui aident à suivre l'évolution des espèces présentes sur un territoire par la captation et l'analyse des sons. "Nous comptons lancer une plateforme agrégeant les données de différents capteurs pour favoriser un suivi de la biodiversité dans le temps et aider à sa préservation", annonce Michele Dominici. En parallèle, la Solideo prévoit dans ses projets de l'éclairage intelligent afin d'adapter l'intensité de la luminosité et en réduire l'impact sur la biodiversité.
Dans la phase de chantier actuelle du village olympique, une trentaine de capteurs remontent leurs données sur la plateforme IoT commune entre Atos et Vertical M2M, éditeur français de logiciel IoT qui ont remporté l'appel d'offre fin 2021. "Le nombre total de capteurs est variable dans le temps. Quelques-uns sont installés pour effectuer tel suivi dans le cadre d'un suivi préliminaire, puis démontés et l'on passe à un autre usage", détaille Michele Dominici.
Plus de 4 500 cyberattaques attendues
La mise en place de démonstrateurs est d'autant plus importante que la Solideo doit faire face à une série de défis. Le premier étant d'ordre réglementaire. "Nous basons nos projets sur des innovations qui ont un impact positif sur la santé des personnes, comme les solutions de traitement de l'air et l'utilisation des eaux usées et l'eau de pluie. Il y a des exigences à respecter et, par ailleurs, on ne peut pas intégrer des antennes et des capteurs n'importe où sur l'espace public", souligne Michele Dominici, qui doit également intégrer les solutions dans le budget et le délai de livraison impartis. "Le sujet est complexe car il est multi-territoire (le village olympique est à cheval sur les communes de Saint-Denis, Saint-Ouen-Sur-Seine et L'Île-Saint-Denis, ndlr) et des actifs sont déjà installés", complète Maurice Zembra, président et cofondateur de Vertical M2M. Cet aspect de multiplication d'acteurs a conduit à faire de la sécurité et de la protection des données un point de vigilance particulier. "Les systèmes d'informations pour gérer les différentes solutions vont se chevaucher, cela accroît la surface d'attaque. Les JO de Tokyo ont enregistré plus de 450 cyberattaques et l'Anssi s'attend à ce que ceux de Paris en subissent dix fois plus", rappelle Jean-Michel Tavernier, responsable en France de l'éditeur Armis qui accompagne la sécurisation de stades et de complexes sportifs impliqués dans les JO.
"Ce sera ensuite à chaque promoteur de prendre en charge les déploiements à l'intérieur des bâtiments"
L'acceptabilité est un autre challenge pour la Solideo. "Dans le cadre de solution de comptage, nous devons trouver le bon objet. Celles sous forme de caméra, même sans captation vidéo, posent problème car elles suscitent un sentiment de méfiance de la part des habitants et, en urbanisme, il faut s'adapter à tous", poursuit Michele Dominici, alors que la Solideo a mis en place des ateliers participatifs pour aborder avec les habitants différents sujets concernant les projets à venir. Le site du village olympique accueillera, une fois les JO terminés, 2 800 logements.
Si pour le moment l'IoT n'en est qu'au stade du démonstrateur au sein des projets de la Solideo, la technologie va bientôt passer en exploitation. "Des déploiements sont en cours pour que les projets passent à plus grande échelle successivement à la fin de l'année, fin février 2024 et fin 2024, début 2025", prévient Michele Dominici. Sans oublier les capteurs qui seront déployés dans les bâtiments pour assurer leur efficacité énergétique. La piscine olympique par exemple sera dotée d'IoT pour en suivre les consommations énergétiques. "Ce sera ensuite à chaque promoteur, comme Nexity et Eiffage Immobilier, de prendre en charge les déploiements à l'intérieur des bâtiments, pour suivre la température, l'occupation ou l'automation des systèmes", indique Michele Dominici.
L'objectif de la Solideo, qui doit être dissoute en 2028, est de transmettre la maîtrise des technologies pour en assurer la pérennité. La Solideo réfléchit déjà à comment passer le flambeau. "La sensibilisation à la sécurité des équipes exploitatrices des solutions doit se faire dès à présent", affirme Gaetan Gesret, spécialiste de la sécurité OT/IoT chez Armis. Et Michele Dominici de conclure : "Les Jeux olympiques représentent l'opportunité d'innover dans les smart cities en mettant tous les acteurs concernés autour de la table. Sans cette occasion, certains projets auraient pu prendre plus d'une décennie avant de se concrétiser."