Stanislas Guerini (Ministre de la transformation et de la fonction publiques) "L'IA Albert suscite un grand intérêt au sein de l'OCDE et de l'Union européenne"
Stanislas Guerini est ministre de la Transformation et de la Fonction Publiques. Il revient pour le JDN sur la stratégie du gouvernement en matière de déploiement de l'IA générative dans la fonction publique.
JDN. Quelle place l'IA générative occupera-t-elle dans la fonction publique d'ici cinq ans ?
Stanislas Guerini. Nous sous-estimons encore très certainement les transformations à venir. Ce dont je suis sûr, c'est qu'aujourd'hui, nous n'avons pas le droit de nous mettre la tête dans le sable. Nous n'avons pas le droit de ne pas regarder, de ne pas expérimenter, de ne pas réfléchir à la fois à la transformation des services publics et à la transformation des métiers.
Mon intuition est que dans cinq ans, des métiers du service public se seront transformés. Deux voies s'offrent à nous : soit subir, soit anticiper, réfléchir et voir comment rendre à la machine ce qui doit lui revenir et à l'humain ce qui doit lui appartenir. Il s'agit au contraire de travailler sur ce qui doit être la valeur ajoutée des agents publics, c'est-à-dire un service public toujours plus personnalisé, toujours plus proactif et au fond toujours plus humain.
Vous avez présenté lors de Vivatech une version d'Albert, l'IA de la fonction publique, intégrée directement dans Tchap, la messagerie interne des agents publics. Quels seront les principaux cas d'usage ?
Il est crucial de mettre l'IA au service des agents publics, toujours sous une forme de volontariat et d'expérimentation. C'est dans cette optique que nous avons commencé à développer Albert, non pas en fabriquant notre propre LLM, mais en adaptant nous-mêmes, au sein de la DINUM, des modèles open source pour pouvoir les utiliser sur des cas d'usage d'intelligence relationnelle. C'est l'objet d'Albert Tchap.
Albert Tchap vise à répondre aux besoins de nos agents, pour éviter qu'ils utilisent des modèles d'IA générative non souverains, pour faire du " shadow GPT ". Nous mettons à leur disposition notre propre IA générative, abritée dans notre messagerie maison appelée Tchap, pour leur offrir un assistant virtuel capable de répondre à leurs attentes très diverses. Cela peut inclure la préparation de mails, de contenus de réunion, la synthèse de documents administratifs, etc. Nous avons la possibilité, avec une IA souveraine hébergée sur notre propre messagerie Tchap, de permettre à nos agents publics d'avoir accès à la puissance des LLM, tout en gardant le contrôle de nos données.
"Vous allez voir se déployer beaucoup de déclinaisons d'Albert dans les prochains mois."
Je pense que les services publics peuvent jouer un rôle essentiel pour créer un cadre de confiance dans l'utilisation de l'IA générative. La clé pour bien utiliser l'IA est de le faire en créant ce cadre de confiance avec nos concitoyens, et les services publics sont peut-être le meilleur endroit pour y parvenir.
Auprès de combien d'agents publics la solution sera-t-elle déployée ?
La solution sera déployée progressivement auprès des utilisateurs de Tchap à partir du mois de septembre. Cela représente potentiellement 1,6 million d'agents publics. L'objectif est d'abord d'apprendre, de voir quels sont les usages, de déterminer si cela leur fait gagner du temps et si cela améliore leur quotidien. Tout cela s'inscrit dans une stratégie d'accompagnement et d'équipement numérique de nos agents, et Albert Tchap représente une corde de plus à notre arc.
Comptez-vous élargir Albert à de nouvelles administrations publiques ?
Bien sûr. Il y a de nombreuses administrations où nous pensons que cela peut vraiment aider l'agent dans son travail au quotidien. Vous allez voir se déployer beaucoup de déclinaisons d'Albert dans les prochains mois. Nous avons commencé dans la partie relationnelle à travers des générations d'emails pour répondre aux usagers. Nous expérimentons également dans nos maisons France Service, avec des Français qui sont physiquement devant des agents, pour aider nos agents France Service à trouver plus rapidement les informations.
Nous avons une autre approche très complémentaire, qui est de travailler avec chacun des ministères pour voir comment l'IA générative peut transformer des politiques publiques de façon très spécifique et très liée au métier des différents ministères. C'est ce que nous faisons en créant un cadre d'innovation autour de la DINUM, avec l'initiative "Alliance" que nous avons créée. Elle met en relation des administrations, des laboratoires de recherche et des start-up françaises. C'est exactement ce qui vient enrichir la feuille de route numérique de chaque ministère aujourd'hui.
Par exemple, nous travaillons dans, l'enseignement supérieur et la recherche, à sous-titrer de façon automatique, grâce à l'IA générative, des cours pour les rendre immédiatement accessibles à des étudiants en situation de handicap.
Envisagez-vous de déployer des chatbots d'IA générative directement auprès des usagers des services publics pour apporter des réponses plus rapides ?
Aujourd'hui, je suis assez prudent. Il y a quelques années, les administrations ont essayé de déployer des bots, mais cela a été assez décevant. Mais à l'époque, l'IA générative n'était évidemment pas là où elle en est aujourd'hui. Je crois que la clé, c'est la confiance. Il faut montrer que l'intelligence artificielle vient au service de l'humain et qu'il ne s'agit pas d'une artificialisation de l'intelligence.
Je réfute le discours décliniste qui dirait que, parce qu'on a une fracture numérique, des difficultés, ou que parfois, on amène de la complexité, il faudrait abandonner en cours de chemin. Au contraire, le bon usage du numérique est une opportunité. La clé pour y parvenir, c'est de ne pas opposer la numérisation et l'humanisation.
La France se présente comme pionnière dans l'utilisation de l'intelligence artificielle générative au sein de l'administration publique. Avez-vous toutefois connaissance d'initiatives similaires menées par d'autres gouvernements étrangers ?
"Etre en avance sur l'IA générative, pour ne pas regarder le train passer"
En ce qui concerne l'IA générative, je constate que la France est plutôt en avance de phase. J'échange beaucoup avec mes homologues, notamment européens, qui regardent avec beaucoup d'intérêt ce que nous sommes en train de faire. Albert suscite un grand intérêt au sein de l'OCDE et de l'Union européenne.
Il y a des pays, notamment dans l'Est de l'Europe, comme l'Estonie, qui sont bien connus pour être meilleurs élèves en matière d'usage de la donnée. Cependant, je crois que l'IA générative représente une vraie opportunité pour la France, c'est donc cela que je porte : être en avance sur l'IA générative, pour ne pas regarder le train passer.