Législation sur la crypto : 2024, l'année de la maturité ?
En France et en Europe, l'entrée en vigueur d'un cadre plus strict devrait pousser le secteur à se professionnaliser davantage.
L'année 2024 s'annonce particulièrement dense pour l'écosystème crypto en termes de régulation. De la récente validation du Bitcoin Spot ETF à la mise en place de la réglementation MiCa, en passant par le durcissement des règles encadrant les entreprises crypto en France, de nombreuses mesures entreront en vigueur tout au long de l'année.
"2022 avait été une année de purge pour l'industrie avec des événements tels que la chute de Terra Luna et FTX", analyse Claire Balva, consultante crypto et VP Stratégie chez Deblock, pour le Journal du Net. "2023 a été une année difficile, mais 2024 pourrait marquer un renouveau, symbolisant la reconnaissance et la professionnalisation du secteur. D'autant que l'introduction des Bitcoin Spot ETF et le prochain halving de Bitcoin, en avril, apportent un vent d'optimisme".
En France, un cadre encore plus strict
Depuis le 1er janvier, le cadre réglementaire dans lequel évoluent les prestataires de services numériques (PSAN) s'est considérablement durci. Jusqu'à présent, les plateformes d'échange crypto françaises devaient obtenir l'enregistrement PSAN par l'AMF à l'issue d'une démarche parfois complexe. Elles devront désormais obtenir l'agrément PSAN, et non plus simplement l'enregistrement. Ce contrôle renforcé des acteurs du secteur prévoit des exigences accrues en matière de cybersécurité, de garantie de fonds propres, de protection des données de leurs utilisateurs, ou encore de gestion des conflits d'intérêt.
"On ne pourra plus créer une plateforme d'échanges dans son garage", résume Claire Balva. "Cela devient un métier régulé avec des investissements importants à mener pour se mettre en conformité, payer des avocats, ou encore mettre en place des systèmes d'information solides. Cela force l'écosystème à se professionnaliser, ce qui avait déjà été le cas avec le PSAN, mais là, on réhausse la barrière à l'entrée".
En cas de défaillance d'un prestataire, l'AMF a le pouvoir de limiter ou interdire temporairement l'exercice de certaines de ses opérations, et même de suspendre un ou plusieurs de ses dirigeants pour une durée ne pouvant excéder douze mois.
Ces mesures devraient pénaliser certains petits acteurs PSAN qui pourraient ne pas obtenir l'agrément nécessaire. Ils se retrouveraient alors face à un dilemme : être rachetés ou fermer leurs portes. Cette dynamique reflète la volonté des régulateurs de traiter la cryptomonnaie comme un secteur financier, préférant travailler avec de grandes entités plus facilement contrôlables, comme les banques.
Ce nouveau cadre juridique a notamment pour objectif de préparer l'entrée en vigueur du règlement européen MiCA, jusqu'à présent plus strict que ce que prévoyait la réglementation en France.
Sur le plan fiscal, le sujet de la taxation du mining et de staking devrait également revenir sur le devant de la scène, suite à un amendement déposé en octobre dernier par le député Eric Bothorel et visant à éclaircir le sujet du staking et du lending, autrement dit les gains sur les intérêts liés à la crypto. Si cet amendement est accepté, les gains issus du staking seront imposés dès leur réception en crypto, et il faudra donc les déclarer sans les avoir vendus. Il s'agirait de la première fois que des cryptomonnaies sont soumises à l'impôt sans être converties en euro.
En Europe, l'heure est à l'harmonisation
La réglementation MiCa (Markets in Crypto-Assets) entrera en vigueur en deux étapes, à partir du deuxième semestre. D'ici là, l'ensemble des Etats membres devront avoir mis en place les mesures nécessaires pour se conformer aux nouvelles règlementations européennes. Comme le résume l'Union européenne, "les principales dispositions applicables aux émetteurs et aux négociants de cryptoactifs […] portent sur la transparence, la publication d'informations, et l'autorisation et la surveillance des transactions".
Dès juin 2024, des dispositions relatives aux stablecoins (cryptomonnaies dont le cours est indexé sur celui du dollar ou d'une autre monnaie nationale) seront mises en place. Afin de pouvoir être listées sur les plateformes d'échanges, les stablecoins devront désormais obtenir une licence EMI, appelée aussi E-Money. L'obtention de celle-ci implique notamment la détention d'un capital important par l'entreprise, et sa capacité à garantir la sécurité de ses fonds et de ceux de ses clients. "Cette mesure pourrait contribuer à une recomposition du marché des stablecoins, avec l'arrivée de stablecoins en euros et le retrait des plateformes de certains stablecoins en dollars", estime Claire Balva.
Les autres mesures prévues par MiCa entreront ensuite en vigueur en décembre. Le premier changement d'envergure pour les entreprises va concerner l'enregistrement : MiCA créé ainsi un statut de CASP (prestataires de services sur cryptoactifs), proche du nouvel agrément PSAN français. Toutes les sociétés crypto exerçant dans l'UE devront obtenir le statut CASP dans un délai de 18 mois afin de pouvoir poursuivre leurs activités.
Le 16 janvier dernier, l'Autorité bancaire européenne a également inclus les CASP dans ses directives sur le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. Cette mesure vise notamment à inciter les CASP à mieux cerner leur base client et à identifier les éventuelles menaces.
En obligeant les entreprises à obtenir la certification CASP, l'UE veut s'assurer que seules les entreprises les plus stables financièrement et offrant des garanties en matière de transparence et de sécurisation des fonds pourront continuer à opérer. S'il sera donc plus difficile pour les petites entreprises crypto d'opérer en Europe, l'arrivée d'un cadre juridique clair pourrait en revanche constituer un atout pour les acteurs européens. "Le principal point positif est l'harmonisation au niveau européen, avec la possibilité d'exporter facilement des services dans toute l'Europe, explique Claire Balva. "C'est une bonne chose pour le secteur comme l'ensemble des consommateurs, qui bénéficieront d'une plus grande clarté".
Aux Etats-Unis, une année peu propice aux avancées
L'approbation du Bitcoin Spot ETF ne doit pas masquer le fait que le paysage légal en matière de crypto devrait encore rester incertain aux Etats-Unis en 2024. Si l'ensemble de l'industrie crypto américaine attend désespérément l'entrée en vigueur d'un cadre clair, voyant l'Europe et l'Asie du Sud-Est prendre de l'avance sur le sujet, le régulateur américain semble en effet décidé à prendre son temps.
Les débats sur le sujet continuent à diviser au Congrès des Etats-Unis, avec la figure du parti démocrate Elizabeth Warren en principale opposante aux cryptomonnaies, qu'elle accuse de financer le trafic de la drogue et du Fentanyl, un puissant opioïde. Et le camp des défenseurs d'une approche compréhensive des crypto enregistrera cette année le départ de l'un de ses membres les plus actifs, Patrick McHenry, président du Comité des services financiers de la Chambre des Représentants.
De plus, la perspective de l'élection présidentielle américaine, en novembre, devrait contribuer à ce qu'aucune initiative majeure ne soit prise de la part du législateur. Il ne faut donc pas attendre d'évolutions majeures avant 2025.
"Il y a encore deux ans on prenait les Etats-Unis en modèle", rappelle Claire Balva. "Ils étaient perçus comme 'business friendly', car plus laxistes. Mais depuis l'affaire FTX, le législateur américain a réalisé que le laisser-faire pourrait avoir des conséquences graves. Cependant, le flou actuel commence à être pénalisant. Les régulateurs restent dans une forme d'hésitation puisqu'il n'y a pas de ligne directrice claire sur la question. On peut espérer qu'en 2025, une fois la présidentielle passée, une volonté de clarté émerge".
L'industrie crypto américaine devra donc se contenter de la décision de la Securities and Exchange Commission (SEC) d'approuver les Spot ETFs Bitcoin. Le secteur crypto américain espère que ce nouvel instrument financier permettra d'attirer de nouveaux investisseurs. "En termes de symbolique, la validation du Bitcoin Spot ETF officialise le fait que Bitcoin est un actif dans lequel on peut investir", analyse Claire Balva. "En termes psychologiques, cela pourrait avoir un impact sur les décideurs, et ainsi libérer des possibilités d'investissement".
Côté justice, des décisions importantes sont attendues dans plusieurs affaires. Le différend de longue date entre la SEC et Ripple, qui jusqu'alors a été majoritairement défavorable à l'agence, devrait aboutir. Mais la SEC pourrait faire appel de la décision antérieure du tribunal selon laquelle elle a partiellement outrepassé l'interprétation du prétendu test Howey pour étiqueter le XRP comme une valeur mobilière. Ce qui pourrait prolonger le délai de nombreux mois supplémentaires. Le conseiller juridique général de Ripple, Stu Alderoty, a prédit que le régulateur continuerait de perdre en justice, "préparant le terrain pour une confrontation à la Cour suprême".
Les affaires de la SEC contre Coinbase, Binance et, plus récemment Kraken, en tant qu'échanges illégaux et non enregistrés, devraient également connaître des avancées majeures en 2024.