Pourquoi faut-il travailler le souvenir de l'expérience client ?
Deux théories de l'expérience retenue : la première considère que l'expérience vécue correspond à ce que retiendra le client. L'autre considère que c'est le souvenir qui sera construit.
Deux théories relatives au souvenir coexistent. La première, appelée « vue reproductive », considère que les représentations mentales des expériences passées qui sont stockées en mémoire sont récupérées de manière intacte lors du rappel (Reber, 1985). Autrement dit, il y a correspondance entre ce que l’on vit et voit, et ce que l’on peut se rappeler par la suite. La seconde vue, appelée « reconstructive », dont Bartlett (1932) a été l’un des fondateurs, considère que l’acte de se remémorer implique une reconstruction de l’information.
Toute l’expérience n’est pas stockée en mémoire, seuls certains fragments sont représentés en mémoire et constituent la base de la reconstruction du souvenir. Ils résultent du processus d’encodage qui « transforme ce qu’une personne voit, entend, pense ou ressent, en un souvenir » (Schacter, 1996, p.60). Par conséquent certains éléments de l’expérience seront occultés alors que d’autres, au contraire, seront amplifiés lors du processus de récupération. En l’absence de souvenirs épisodiques relatifs à l’expérience vécue, l’individu peut alors rechercher des croyances dans sa mémoire sémantique et les utiliser pour reconstruire le passé, processus pouvant conduire à des imprécisions (Bartlett, 1932).
En résumé, les processus d'encodage, de stockage et de récupération de l'information en mémoire signifient que toute l'information n'est pas nécessairement stockée, et même si elle l'était, elle ne serait pas nécessairement rappelée. Par conséquent, il est possible de constater un décalage entre le contenu du souvenir et celui de l'expérience. Comme évoqué précédemment, l’individu ne se souvient pas toujours de tous les détails de son expérience. Il a tendance à se souvenir plus facilement du début (Ariely et Zauberman, 2000), du moment le plus intense (« peak »), et de la fin de l’expérience, et notamment des stimuli fortement chargés émotionnellement. Deux littératures utilisant des conventions différentes existent. L’une oppose “immédiate (long-term) memory” à “delayed (long-term) memory”, l’autre “early long term memory” à “late long-term memory” (Talmi, 2013 ; Talmi et al., 2013). La délimitation temporelle entre mémoire à long terme immédiate et différée varie d’une recherche à une autre. Depuis les travaux pionniers d’Ebbinghaus (1885), il est admis que l’encodage dépend du nombre de répétitions, ce qui laisse penser que l’individu familier avec le point de vente et/ou l’enseigne est en mesure d’encoder l’information relative à son expérience sur la base d’un plus grand nombre de schémas mentaux qu’un novice (Alba et Hutchinson, 1987 ; Cohen, 1989).
Hoch et Deighton considèrent la motivation, au même titre que la familiarité et l’ambiguïté de l’environnement de l’information, comme des variables modératrices de ce que retient un consommateur de son expérience d’utilisation d’un produit. Cohen constate par ailleurs que les capacités de mémorisation des individus ne sont pas les mêmes selon leur âge, leur sexe, leur personnalité, leur niveau d’éducation ou bien encore leur catégorie-socioprofessionnelle d’appartenance. Michaël Flacandji propose de repenser l’expérience et apporte un éclairage nouveau sur le comportement du consommateur en magasin.
Bien que le souvenir soit accompagné chez le consommateur d’une croyance selon laquelle il est une trace de l’épisode originel, des distorsions apparaissent. Il propose de définir le souvenir de l’expérience comme les informations, stockées en mémoire de manière consciente ou inconsciente à la suite d’une expérience, qui sont rappelées par l’individu au cours d’une expérience de souvenir avec un degré de précision et de certitude plus ou moins fort.
Le souvenir post-expérience immédiat est différent de l’expérience vécue et une approche par le souvenir même immédiat, quelques minutes après la visite, ne permet pas d’appréhender correctement l’expérience vécue au sens strict. Si la littérature a traité sous divers angles les trois premières phases de l’expérience, elle s’est montrée en revanche plus discrète sur les conséquences de l’expérience. Or, certains travaux suggèrent que le souvenir de l’expérience est un meilleur prédicteur des comportements futurs que l’expérience elle-même (Kahneman, 2000, 2012 ; Wirtz et al., 2003 ; Pedersen et al., 2011).
Ces différentes recherches mettent en avant des expériences qui tendent à être récupérées en mémoire par les clients et ceux qui, au contraire, peuvent être soumis à des distorsions, voire à des oublis. Autrement dit, nous allons confronter son souvenir à l’expérience qu’il a vécue sur ses dimensions praxéologique et temporelle (Roederer, 2008).
Dans son livre « Système 1, Système 2, les deux vitesses de la pensée », Daniel Kahneman partage une anecdote qui lui a été racontée par un auditeur lors d’une conférence. « Il a raconté comment, en extase, il avait écouté une longue symphonie sur un disque qui était rayé vers la fin, ce qui avait produit un son choquant, lequel avait « saccagé le morceau ». En réalité, ce n’était pas le morceau qui avait été saccagé, seulement le souvenir qu’il en avait. Le moi expérimentant avait vécu une expérience qui était presque entièrement plaisante, et la fin négative n’y changeait rien, parce que cela avait déjà eu lieu. La personne avait accordé à l’ensemble de l’épisode une mauvaise note parce qu’il s’était très mal terminé, mais sa note ignorait purement et simplement quarante minutes d’extase musicale.
"La véritable expérience n’a-t-elle donc aucune importance ?" (Kahneman, 2012, p.458). Cet extrait illustre toute la complexité entourant la distinction entre souvenir et expérience. Kahneman explique que l'individu possède deux identités, le « moi expérimentant » qui s'occupe de vivre les situations, et le « moi mémoriel » qui les revit, tient les comptes et fait les choix. L’expérience vécue racontée par l’auditeur de la conférence de Kahneman montre que le souvenir de l’expérience est une « puissante illusion cognitive » puisque celui-ci peut être amené à évaluer négativement son expérience alors qu’il en avait savouré la quasi-totalité. D’autres recherches ont mis en évidence le même phénomène (Kahneman, 1994 ; Ratner, Kahn et Kahneman, 1999 ; Schreiber et Kahneman, 2000).
A l’image de l’étude de Mittal et al. (1999), la satisfaction en t+1 (qualifie une mesure en t+1 de la satisfaction à l’égard d’une expérience vécue en t) comprend une part de satisfaction en t remémorée (exemples : souvenir du contact avec le personnel, de l’attente, etc.), et une part de satisfaction non remémorée qui porte sur des éléments dont le consommateur n’avait pas ou ne pouvait pas prendre en compte lors de sa satisfaction exprimée en t (exemples : utilisation du produit acheté, exposition à une publicité d’un concurrent, autre visite passée ou future). L’effet du temps et ces nouveaux critères viennent affecter la satisfaction en t+1. Ainsi, Wirtz et al. (2003) nous semblent s’intéresser à la satisfaction en t+1, au contraire de Pederson et al. (2011) nous laisse penser qu’ils travaillent sur la satisfaction remémorée et non sur le niveau de satisfaction à l’égard des transports au moment de répondre à l’étude en t+1. Comme nous l’avons vu, Kahneman et al. (1993) se sont intéressés à une expérience désagréable et ils ont montré que le souvenir de la douleur ressentie était un meilleur prédicteur des comportements futurs que la douleur expérimentée pendant l’acte médical. Perdersen et al. (2011) ont montré que la satisfaction remémorée (deux ans après) à l'égard des transports publics était significativement plus faible que la satisfaction exprimée par les clients pendant l’expérience. Dans le contexte de la planification des vacances des étudiants, Wirtz et al. (2003) parviennent à la conclusion contraire, à savoir que le souvenir de l’expérience (2 à 4 jours après et 4 semaines après l’expérience) est évalué plus positivement que l’expérience vécue. Ces trois études parviennent à la même conclusion selon laquelle la décision de s'engager dans une expérience similaire à l'avenir dépend davantage du souvenir de l'expérience ou de la satisfaction ressentie en t+1 que de l'expérience vécue elle-même pendant l'événement.
Un premier courant de pensée soutient la thèse que les représentations des émotions persistent en mémoire et sont facilement récupérables (LeDoux, 1996 ; van der Kolk, 1994). Le second courant défend, quant à lui, l’idée selon laquelle les personnes peuvent se souvenir d’un événement mais que les émotions qui lui sont associées ont disparu, celles-ci disparaissant plus vite de la mémoire que les cognitions (Norman, 2009). Robinson et Clore (2002) expliquent que « l’expérience émotionnelle ne peut être ni stockée, ni récupérée ». Les émotions en tant que telles ne perdurent pas en mémoire (Robinson et Clore, 2002a ; Strongman et Kemp, 1991), mais elles sont reconstruites sur la base du souvenir des circonstances dans lesquelles elles ont été vécues et sur leurs croyances de comment elles ont été ressenties par les individus. L’individu peut alors réagir émotionnellement aux pensées ainsi générées (Bagozzi, Gopinath et Nyer, 1999). En se basant sur cette vision, plusieurs chercheurs ont montré que la reconstruction des émotions passées pouvait être source d’inexactitudes (Christianson et Safer, 1996 ; Levine, 1997 ; Robinson et Clore, 2002a).
Les souvenirs des événements fortement chargés émotionnellement sont souvent plus riches que les souvenirs d'événements non-émotionnels car ils sont plus faciles à être remémorés pour les individus (Bagozzi et al., 1999 ; Bolles, 1988 ; Brewer, 1988 ; Conway et al., 1994 ; Reisberg et Hertel, 2005). Les souvenirs nostalgiques constituent un sous-ensemble des souvenirs d’expériences chargées d'affect positif (Holak et Havlena, 1998). La nostalgie se définit comme « le désir d'un individu pour le passé ou le goût pour les biens et les activités d'antan » (Holbrook, 1993, p.245).
Ce concept a reçu une attention considérable (voir Kessous, 2006, 2009 ; Kessous, Roux et Chandon, 2015 ; Rindfleisch et Sprott, 2000 ; Vignolles, 2010 pour une revue détaillée). « Nos expériences passées, nos connaissances et nos besoins ont tous une influence puissante sur ce que nous retenons » (Schacter, 1996). Plusieurs chercheurs se sont intéressés à ce phénomène et ont démontré que «les expériences passées peuvent altérer l’expérience subjective du présent (Witherspoon et Allan, 1985 ; Jacoby et al., 1988 ; Bomstein et D'Agostino, 1994 ; Kelly et Lundsay, 1993 ; Whittlesea, 1993 ; Zajonc, 1980) » (Nicolas, 2000). Lorsque le répondant se base sur ses expériences et connaissances passées pour faire le récit de la dernière expérience qu’il a vécue, les chercheurs parlent d’interférences pro-actives (Underwood, 1957). Ce phénomène vient du fait que la mémoire fonctionne sous forme d’un réseau d’associations, comme Anderson (1983) le propose par exemple dans le modèle ACT. Il est admis que « l'apprentissage consiste à ajouter de nouveaux nœuds, de nouveaux liens et/ou de renforcer des liens existants » (Grunert, 1996). Par ailleurs les travaux de Kahneman et de ses co-auteurs (Kahneman, 2000a, 2000b, 2012 ; Kahneman, Fredrickson, Schreiber et Redelmeier, 1993 ; Redelmeier et Kahneman, 1996) en psychologie hédoniste, des études mettant en avant le caractère déterminant du souvenir de l’expérience dans l’explication des comportements futurs commencent à poindre (Pedersen, Friman et Kristensson, 2011 ; Robinson, 2011 ; Wirtz, Kruger, Napa Scollon et Diener, 2003)
Le point de vente est souvent considéré comme une "boîte à souvenirs" dotée de la capacité unique de créer des expériences mémorables qui contribuent à renforcer la marque/l’enseigne. En particulier, le personnel de vente joue un rôle clé dans l'impression laissée sur le client (Flacandji, 2017). De nombreuses interrogations émergent quant à la manière d'optimiser l'ensemble des micro-expériences vécues entre le monde virtuel et physique au sein d'un même parcours d'achat. Il est crucial de comprendre l'impact de l'expérience cross canal sur des paramètres traditionnels tels que la satisfaction, la fidélité ou la valeur perçue. Bien que certaines études aient abordé l'impact du multi-canal sur la satisfaction des clients (Van Birgelen et al., 2006), beaucoup de ces aspects n'ont pas été explorés en profondeur. La question fondamentale de l'orchestration des différentes "morceaux d'expériences" et de leur rôle dans la perception globale et le souvenir mérite une attention particulière.
Face à la complexité de la sédimentation des expériences d'achat (Antéblian et al., 2013), de nombreuses parts de recherche restent à explorer, tant en ce qui concerne la transition d'une micro-expérience à une autre que le contenu spécifique de ces micro-expériences à chaque point de contact, en continuité avec une expérience commencée ailleurs. En ce qui concerne la transition d'un point de contact à un autre, certains experts, tels qu'Achabal et al. (2005) et Barba (2011), préconisent une expérience sans couture, bien que les recherches ne convergent pas toutes sur son intérêt intrinsèque. Certains suggèrent que les clients s'accommodent bien des transitions entre les canaux (Collin-Lachaud et Vanheems, 2016). Au-delà de ces transitions, la manière dont l'expérience globale est évaluée et mémorisée soulève des questions importantes, en particulier en ce qui concerne le rôle de chaque micro-expérience et de leurs interactions dans cette évaluation. Le champ des investigations reste vaste, avec des questions telles que l'importance relative de certaines étapes du parcours cross canal dans la mémorisation et le souvenir, ainsi que les effets d'interaction entre ces étapes. Des mécanismes compensatoires peuvent-ils atténuer une mauvaise expérience en offrant une expérience positive sur un autre point de contact ? La revisite des différentes phases de l'expérience (expérience anticipée, expérience d'achat, expérience de consommation, souvenir de l'expérience et nostalgie) à travers plusieurs canaux pose des défis significatifs. La rupture expérientielle, lorsque le client quitte un canal ou un point de contact pour passer à un autre, est une préoccupation actuelle, tant dans ses causes que dans ses conséquences. Les dimensions comportementale, cognitive, sensorielle, émotionnelle et sociale de l'expérience sont-elles toutes impactées par les ruptures expérientielles identifiées par Camélis et Llosa (2011) ? La réflexion sur la notion même de "rupture" souligne son caractère négatif, mais les mécanismes à étudier sont complexes. Les recherches futures pourraient explorer les conséquences émotionnelles d'une rupture et même envisager des phénomènes tels qu'un "ascenseur émotionnel" lors d'un changement de canal La distribution face au consommateur connecté : un monde au bout des doigts… et après ?.