LinkedIn, Mbappé, l'IA et nous

LinkedIn lance des articles collaboratifs : une opportunité d'innovation ou une exploitation de vos données ? Découvrez les enjeux éthiques potentiels derrière cette initiative.

Vous êtes flattés, LinkedIn vous invite depuis quelques semaines à donner votre avis d’expert sur tel ou tel sujet professionnel. 

Lancés en mars 2023 par le réseau social professionnel leader, ces articles collaboratifs permettent de valoriser votre expertise ou votre marque personnelle auprès de vos pairs. 

Vous ne saurez jamais vraiment pourquoi vous avez été choisi. Sans doute est-ce une sollicitation fondée sur vos compétences et vos centres d’intérêt tels qu’ils sont valorisés sur votre profil. Possible aussi qu’un algorithme choisisse les articles auxquels on vous demande de contribuer selon ce qu’il y reste à compléter (la trame initiale est créée par l’IA générative). Des milliers d’articles collaboratifs sont ansi rédigés et complétés au quotidien de manière fragmentée par une armée de contributeurs.
Parenthèse n°1 d’ordre littéraire. Imaginez tous ces articles comme les chapitres d’un livre sans cesse réécrit et enrichi, reflétant la diversité de l'expérience professionnelle mondiale. Ce livre, ébauche perpétuelle, évoque (un peu) la fameuse nouvelle de Borges, « La bibliothèque de Babel », une bibliothèque « univers » qui contiendrait tous les textes possibles. La magie du numérique permet de rechercher facilement dans cette base de connaissances. Quel émerveillement d’avoir accès à la totalité du savoir (professionnel) ! Et quel abattement immédiat : que reste-t-il en effet à énoncer si tout ce qui pouvait être écrit l’est déjà ? Seule voie de sortie, le génie et l’originalité, comme l’imprévisibilité créatrice d’un artiste – Kendrik Lamar - ou d’un sportif – Kylian Mbappé.
Petite ombre au tableau. Cette initiative serait-elle une manœuvre pour flatter les utilisateurs tout en s'appropriant leurs idées ? Derrière l’attrait indéniable d’une oeuvre collective se cacherait la possibilité qu’un réseau social utilise ces données pour alimenter ses propres modèles d'intelligence artificielle, sans rémunération ou juste reconnaissance des auteurs. Cette perspective pourrait transformer les contributeurs en travailleurs invisibles d'une mécanique profitant à la plateforme. Ce ne serait certes pas une première.
Parenthèse n°2 d’ordre juridique : que disent les conditions d’utilisation dans le cas de LinkedIn ? : « Vous êtes propriétaire du contenu […] que vous publiez sur les Services et vous octroyez seulement à LinkedIn […] un droit mondial, cessible […] d’utilisation, de copie, de modification, […] et de traitement des informations et du contenu que vous fournissez […] sans autre consentement, préavis et/ou rémunération à votre égard ou à l’égard de tiers. ». Les possibilités d’ « utilisation » et de « traitement » semblent suffisamment vagues pour inclure l'entraînement de modèles d'IA. Pourquoi en effet ne pas voir le « traitement » comme incluant l'analyse et l'apprentissage à partir des données pour améliorer les algorithmes ou développer de nouvelles fonctionnalités ? 

Faut-il voir le verre à moitié plein ou à moitié vide ? Soyons optimistes : un modèle alimenté par les « insights » collectifs pourrait révolutionner le monde professionnel, en offrant des conseils personnalisés, en anticipant des tendances selon les secteurs, et en donnant accès à un gisement d’apprentissages et d’expériences aisément disponibles. Si l’on est plus sceptique : les utilisateurs méritent transparence et équité. Il est important de savoir si leurs contributions alimentent une machine dont ils ne retireront peut-être jamais d’avantages, sans une contribution financière tout du moins.
Un point non négociable et une leçon pour finir. 

Ce qui est non négociable : la clarté nécessaire dans l’utilisation des données à un moment où les modèles LLM ont besoin d’ingurgiter le maximum de données pour progresser. C’est, à tout le moins, une question de respect pour les utilisateurs.

Une leçon à retenir : il est essentiel de penser en amont les futurs usages de l’IA, mais aussi de réaliser que ce sont ces usages qui nous aideront à définir les règles que nous souhaitons mettre en place et les compétences pertinentes pour gouverner plus éthiquement la puissance de l’IA.

La Bibliothèque de Babel de Borges vue par Dall-E 3 (prompt itératif)