Almar Latour (CEO de Dow Jones) "Les rédactions du groupe Dow Jones expérimentent déjà une grande variété d'outils d'IA générative"
Le PDG de Dow Jones & Company, propriétaire du Wall Street Journal, évoque les projets du groupe dans l'IA générative et annonce être en négociation commerciale avec plusieurs fournisseurs de LLM concernant l'utilisation des contenus.
JDN. Quelles sont les différentes activités du groupe Dow Jones & Company ?
Almar Latour. Fondée en 1882, Dow Jones est une entreprise spécialisée dans l'édition et l'analyse d'informations en lien avec le monde économique et financier. Elle est évidemment célèbre pour son indice boursier. Même si celui-ci ne nous appartient plus et est aujourd'hui géré par S&P Global, nous détenons encore les droits d'exploitation de la marque Dow Jones. Parmi les médias et titres de presse de notre portefeuille, je peux citer notamment le Wall Street Journal, le magazine Barron's, dédié à l'investissement, ou encore MarketWatch, qui fournit des informations et analyses sur les marchés boursiers. L'ensemble de ces médias détenus par le groupe Dow Jones & Company cumulent aujourd'hui 5,3 millions d'abonnés côté BtoC. Notre entreprise, qui emploie 5 500 collaborateurs à travers le monde, propose aussi des services aux entreprises. Dans le BtoB, Factiva, notre plateforme de business intelligence, regroupe un volume de données considérable, disponible dans 32 langues, et notre service Dow Jones Risk & Compliance est spécialisé dans l'évaluation des risques et la mise en conformité.
Beaucoup s'inquiètent de l'essor de la désinformation à l'ère de l'IA générative. Comment voyez-vous l'avenir de vos médias avec ce contexte de changement technologique ?
Notre principal argument de vente repose sur la fiabilité de nos informations. Cela fait des décennies que nous investissons pour proposer un journalisme de qualité en cherchant à être aussi factuel que possible. Lorsque le monde devient complexe et que l'incertitude prend le dessus, les particuliers et professionnels ont tendance à se tourner vers des marques en qui ils ont confiance. Par exemple, lors de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, la demande pour notre service Risks & Compliance a été décuplée. Nous avons ainsi pu aider les entreprises à s'adapter à cet environnement impliquant des sanctions ciblant la Russie. En conclusion, je reste confiant dans l'avenir car notre constat est que le besoin d'informations fiables n'a fait que grandir au fil des années.
Comment implémentez-vous les nouveaux outils utilisant l'IA générative au sein des différents médias du groupe Dow Jones ?
Je pense que beaucoup de ces nouveaux outils se montreront utiles au sein de services de presse comme les nôtres. Cela fait près d'une décennie que nous utilisons des outils d'IA pour des tâches basiques. Concrètement, l'IA nous permet de rédiger instantanément et automatiquement certains articles basés sur des rapports économiques ou financiers qui sont publiés mensuellement, à l'aide d'un algorithme. Toute cette expérience accumulée nous permet aujourd'hui de nous montrer très efficace dans la prise en main des nouveaux outils d'IA générative. Ils permettent notamment de libérer du temps pour nos journalistes pour leur permettre de se concentrer sur la rédaction d'articles à forte valeur ajoutée.
Pouvez-vous donner quelques exemples de l'utilisation de ces outils ?
Ces outils rendent nos collaborateurs plus efficaces. Certains de nos analystes et chercheurs sont aujourd'hui capables d'analyser rapidement des bases de données beaucoup plus larges qu'auparavant. Nos salles de rédaction expérimentent actuellement une grande variété d'outils d'IA générative et nous cherchons encore comment exploiter pleinement leur potentiel. Ils deviendront des outils de travail du quotidien des journalistes.
Quels sont les projets du groupe Dow Jones dans l'IA générative ?
Nous avons fixé trois priorités. La première est de sécuriser les droits de propriété intellectuelle liés à nos contenus en négociant un accord commercial avec les entreprises qui entraînent leurs LLM en utilisant nos données. Nous sommes actuellement en discussion avec plusieurs entreprises fournisseurs de LLM. Notre second objectif est d'intégrer l'IA dans nos outils de travail, que ce soit pour nos activités B2B ou B2C.
Nous le faisons encore de manière expérimentale afin d'assurer de pouvoir maintenir la même fiabilité et qualité de nos informations. Enfin, notre dernier axe porte sur la création de nos propres produits basés sur l'IA générative, qui se fera sans doute avec l'aide de partenaires. Nous les présenterons au cours des trois à six prochains mois.
Pourrait-on imaginer interagir avec des chatbots IA intégrés directement depuis certains titres de presse tel que le WSJ ?
Sans entrer dans les détails, je crois que le fait de pouvoir résumer un contenu de manière fiable est un service que nos clients vont exiger à l'avenir. Au cours des prochaines années, de nouveaux services basés sur l'IA générative permettront aux clients et lecteurs d'interagir différemment avec nos contenus. Aujourd'hui l'IA générative touche tous les formats : texte, vidéo ou encore audio. Nous accélérons en ce moment nos expérimentations dans tous ces domaines afin de comprendre comment nous approprier au mieux ces technologies.
Quelle est votre stratégie pour rester attractifs aux yeux des nouvelles générations de lecteurs, habitués à consommer l'actualité différemment, à travers de nouveaux formats et plateformes ?
Nous assistons effectivement à un changement important dans le comportement des nouvelles générations de lecteurs mais aussi de nos clients professionnels. Notre objectif est de bien comprendre leur manière de consommer l'information afin d'être accessible sur les plateformes qu'ils utilisent et en adaptant nos formats. Nous avons par exemple fait le choix de rendre nos contenus disponibles sur Apple News afin de toucher une base d'utilisateurs différente. Pour faciliter cette adaptation, nous donnons des responsabilités aux jeunes qui travaillent dans nos rédactions et autres services. Nous voulons les inciter à proposer de nouvelles approches et ainsi leur permettre de jouer un rôle clé dans ce changement.
Quels seraient vos conseils pour lancer un nouveau média en 2024 ?
La composante la plus importante à mes yeux est la spécialisation, qui a d'ailleurs fait le succès de nos différentes verticales. En se spécialisant, un média devient plus attractif auprès d'une certaine audience et augmente ainsi sa capacité à monétiser son offre. C'est pourquoi nous cherchons constamment à obtenir des données propriétaires, que nous allons créer ou acquérir. Nous allons ensuite les analyser afin de permettre à nos lecteurs de prendre les meilleures décisions possibles. L'autre point important réside dans la mise en relation et le rassemblement de professionnels évoluant dans un même secteur. Nous le faisons notamment à travers des évènements, des councils spécifiques à chaque métier, etc.
Parmi vos différents projets, est-ce que là creation de votre propre LLM, entraîné sur vos données, est à l'étude ?
Il y a aujourd'hui énormément de LLM disponibles sur le marché. L'objectif est avant tout de s'assurer que nos données et contenus sont utilisés de manière fiable, sans souffrir d'hallucinations. Plusieurs voies s'offrent à nous. Nous pourrions par exemple utiliser un LLM existant et l'entraîner sur nos données propriétaires, ou bien envisager d'autres options.
Almar Latour est le PDG de Dow Jones, une entreprise de médias filiale de News Corporation, propriété de Rupert Murdoch. Le groupe Dow Jones est éditeur du Wall Street Journal et propriétaire de marques telles que Dow Jones Newswires et MarketWatch. Sous sa direction, le groupe a notamment réalisé plusieurs acquisitions parmi lesquelles OPIS, Investors' Business Daily ou encore de Chemical Market Analytics. Avant de devenir PDG, il a occupé divers rôles au sein de l'entreprise, y compris celui de rédacteur en chef du WSJ et de correspondant à l'étranger.