L'heure de vérité a sonné pour les DNVB
Entre l'augmentation du prix des matières premières et l'explosion des coûts d'acquisition, les DNVB font face à de nombreuses difficultés dont certaines pourraient ne pas se relever.
Les DNVB sont-elles devenues des marchands comme les autres ? Après avoir enregistré des croissances de ventes impressionnantes aux Etats-Unis entre 2018 et 2020, le phénomène se tasse et les marques établies affichent maintenant une croissance supérieure à celles des DNVB sur leurs ventes en ligne direct to consumer (DTC) en 2021 et 2022, selon une étude d'eMarketer publiée en mars 2022. Et cela alors que les marques traditionnelles enregistrent dans le même temps des volumes de ventes en ligne et en direct trois fois supérieures à celles des DNVB aux Etats-Unis.
A leur arrivée, les DNVB avaient abaissé la barrière à l'entrée du commerce, explique Xavier Faure, partenaire chez Spring Invest. "Il y a 15 ans, il était très compliqué de lancer une marque de vêtements car il fallait signer avec un grand magasin pour réussir. Aujourd'hui en 6 mois et avec 200 000 euros, je peux lancer une gamme." Il rappelle que les DNVB apportent de la valeur "en faisant disparaître les intermédiaires, en apportant de la transparence, en misant sur un service client de qualité, en trouvant des usages et en adaptant leur positionnement pour toucher le client en direct", détaille-t-il.
Des codes devenus normes
Mais, depuis la promesse initiale, les choses ont évolué et les marques traditionnelles ont repris leur distribution et leur communication à leur compte, empruntant les thèmes chères aux DNVB, comme l'écoresponsabilité. Nike en est un bon exemple. "En 2010, Nike enregistrait 13% de ses ventes en direct, note Vincent Mayet, le directeur général d'Havas Commerce. En 2021, le DTC représente 40% de son chiffre d'affaires". Pour arriver à de tels résultats, Nike a repris en main sa distribution et réduit son nombre de vendeurs d'un tiers. "C'est un mouvement stratégique dont l'objectif est de mieux connaître ses clients", explique le directeur général d'Havas Commerce. Les marques ont donc adopté les codes des DNVB qui sont devenues moins uniques.
Un modèle fragilisé
Au-delà de la montée en puissance des marques traditionnelles sur le positionnement et la communication digitale, les DNVB subissent de plein fouet la conjoncture économique. Florie Ducamp Albert, cofondatrice de la DNVB de lingerie We Are Jolies est à l'initiative de la lettre ouverte "WE ARE LUCIOLES : Chronique d'une mort annoncée", cosignée par 200 DNVB et adressée au ministre de l'Economie Bruno Lemaire pour alerter sur les difficultés que rencontrent ces start-up. Entre la hausse des matières premières, l'inflation, le ralentissement des levées de fonds et l'explosion des coûts d'acquisition, "ce sont 30 à 50% des DNVB qui sont menacées de fermeture, car nous n'avons pas le temps de nous adapter au contexte actuel", note la cofondatrice de We Are Jolies. Les plus petites ne sont pas les seules concernées. My Jolie Candle, une DNVB qui affichait 10 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2018, a annoncé être placée en redressement judiciaire début juin 2022.
L'explosion des coûts d'acquisition
"Nous aurions pu résister mais l'application du RGPD, d'abord sur Apple en septembre 2021, puis sur Android en janvier 2022, nous a complètement prises au piège, explique Florie Ducamp Albert. L'algorithme sur les réseaux sociaux s'adapte au nouveau règlement et propose nos publications à un groupe de personnes qui ressemblent à nos clients mais ne le sont pas. Nous avons donc le même trafic, mais deux à trois fois moins qualifié", poursuit-elle. Pour Xavier Faure chez Spring Invest, "la performance publicitaire de Facebook et Instagram s'est dégradée de 30 à 50%, alors que le Covid avait déjà perturbé le marché. Elles ont cru avoir gagné 2 ou 3 ans, alors qu'au final, les DNVB reviennent à leur courbe de croissance initiale avec en parallèle des coûts d'acquisition en forte hausse. La période est douloureuse".
Back to basics
Pour autant le modèle n'est pas mort, "il va y avoir des fermetures, annonce Xavier Faure de Spring Invest. Mais c'est normal dans l'univers des start-up où beaucoup se sont lancées. Elles vont devoir se battre sur chaque point de marge, sur leur proposition de valeur et parfois augmenter leurs prix. La difficulté reste de toucher le client et de le garder", poursuit-il. "Ce qui nous sauve, ce sont nos clients fidèles, confirme Florie Ducamp Albert. Ils représentent 40 à 50% du chiffre d'affaires de We Are Jolies".
La pérennité réside aussi dans la diversification du modèle : chez Spring Invest, Xavier Faure mise plus facilement sur les DNVB omnicanales car cela leur procure "un avantage compétitif fort". Même credo chez Vincent Mayet d'Havas Commerce : "Il est risqué d'être associé à un seul canal, il faut arriver à la fois à développer son territoire de marque tout en étant sur Amazon ou Alibaba et faire connaître la singularité de la marque. Le canal digital devient le standard et le magasin est une expérience proposée en parallèle", explique-t-il. S'affranchir des géants du web est une solution pour la cofondatrice de We Are Jolies, "nous devons être de moins en moins dépendants de Google, Instagram et Facebook, note Florie Ducamp Albert. Si les réseaux sociaux sont clés pour se faire connaître et devenir une marque à message, il faut maintenant se diversifier et miser sur le SEO, l'affiliation, l'affichage et la télévision. Un back to basics", conclue-t-elle.