Le no codeur, un nouveau métier qui bouscule l'ordre établi
Il naît de la folle promesse du développement d'application sans code. Quel est son profil ? A quel salaire peut-il prétendre ? Existe-t-il des formations adaptées ? Eléments de réponses.
80% des produits et services technologiques pourraient être conçus par des non-informaticiens à horizon 2024. Cette prédiction du cabinet Gartner donne la mesure de l'importance que devrait prendre le mouvement du no code dans les années à venir. Comme son nom l'indique, le no code consiste à créer des applications sans avoir à écrire une ligne code. Depuis une interface à 100% visuelle, le concepteur assemble des composants applicatifs pour créer la cinématique de sa future solution. Complémentaire au développement traditionnel, le no code serait, selon ses afficionados, la meilleure arme pour pallier la pénurie de développeurs et réduire le time-to-market à l'heure, notamment à l'heure de la transformation numérique des TPE et PME, des structures de facto aux budgets IT contraints. Il donnerait aussi naissance à un nouveau métier, celui de no codeur. Sur un CV, la maîtrise des outils collaboratifs de Microsoft 365 pourrait, demain, être avantageusement remplacée par celle de Bubble, Webflow, Zapier, Notion, Adalo ou Unqork.
La tribune de Francis Lelong publiée sur le JDN et titrée Non, nos enfants ne seront pas codeurs mais "no codeurs" a suscité beaucoup de débats. Le PDG fondateur d'Alegria.group, qui se présente comme la première agence française 100% no code, se défend d'une quelconque guerre entre les mondes du code et du no code. "Les deux approches sont complémentaires. Aux Etats-Unis, la moitié des développeurs ont déjà recours au no code pour gagner en productivité", argue-t-il. Pour Francis Lelong, cette adoption va dans le sens de l'histoire et le nombre de no codeurs est appelé à croître de façon exponentielle. "On en comptait en France environ une centaine en 2021. Ils seront mille cette année, le double en 2023, et atteindront les 100 000 en 2025", estime le chef d'entreprise. Une tendance qui s'explique par la durée de la formation initiale, réduite à moins de 12 mois contre 3 à 5 ans pour un développeur traditionnel. Des écoles comme Alegria.Academy (lancée par Francis Lelong), Maria Schools, Uncode School ou Wide Code Shool proposent des formations intensives au no code, de type bootcamp de quatre semaines à trois mois, suivies d'un stage en alternance.
Le no code, un levier d'inclusion
Lancée mi-février 2022, Alegria.academy, émanation d'Alegria.tech, a reçu 3 500 candidatures pour 100 à 150 places prévues cette année. La sélection est réalisée sur la base des compétences comportementales (soft skills), de la motivation et de l'esprit logique. Le no codeur doit développer des capacités d'abstraction et maîtriser le mode de fonctionnement d'un logiciel. Objectif : savoir relier les écrans de l'application à un workflow et une base de données.
"Aujourd'hui, une personne seule peut concevoir son produit et, au bout de 5 ou 6 mois, le tester sur le marché"
L'inclusion est de mise. Alegria.academy, qui a reçu 35% de candidatures féminines, réserve la moitié de ses places aux femmes. Agnès Alazard et Annabelle Bignon, les deux fondatrices de Maria Schools visent également la parité. Dans le milieu fortement masculin de la tech, le no code peut, selon elles, offrir "un terrain de jeu formidable" pour les femmes et leur permettre d'avoir "un impact sur les usages via la création de produit". Autre organisme de formation, WinSide propose, avec sa filière baptisée NoCodeuses, un programme destiné spécifiquement aux demandeuses d'emploi en seconde partie de carrière (40 ans et plus).
Via le mouvement "no code for good" porté par l'association du même nom, le no code répond, par ailleurs, à la quête de sens des générations Y et Z. Les acteurs de l'économie sociale et solidaire et les ONG, aux budgets restreints, recourent, de fait, largement au no code. Le no code fait également écho aux désirs d'entreprenariat des jeunes actifs. "Avant, le seul moyen pour développer une application était de lever des fonds et de monter une équipe", note Francis Lelong. "Aujourd'hui, une personne seule peut concevoir son produit et, au bout de 5 ou 6 mois, le tester sur le marché."
Des profils aux parcours très différents
Quels sont les prérequis pour devenir no codeur ? Plusieurs profils se dessinent. La première est constituée de personnes en voie de reconversion académique ou professionnelle. Le métier promis par leur formation initiale ne leur convient pas et elles souhaitent renouer avec leur passion première pour le web. Alegria.group compte ainsi, dans ses rangs, un ancien cuisinier et un agent immobilier. Cofondateur et PDG de l'agence Cube, Pierre Launay voit aussi apparaître des entrepreneurs ayant conçu leur produit avec des outils no code, mais sans atteindre les résultats escomptés. "Il valorise ensuite cette expérience en devenant no codeur", note-t-il. Comme Francis Lelong, il constate que ce marché naissant compte également des développeurs traditionnels. "Davantage intéressés par le produit que par la technique, ils ont compris tout le potentiel du no code en matière de productivité", souligne Pierre Launay. Enfin, le développement sans code séduit des experts du design (UI/UX) qui, frustrés de se limiter au stade de la maquette, souhaitent aller jusqu'au bout de leurs idées.
"Le candidat idéal doit concilier une sensibilité au produit et au design, un esprit logique et la maîtrise technique des solutions"
Pour Pierre Launay, le no code permet de bénéficier immédiatement d'une dimension produit. "Alors que des développeurs peuvent être spécialisés dans le front office ou le back office applicatif, le no codeur devra avoir une approche full stack. Véritable mouton à cinq pattes, le candidat idéal doit concilier une sensibilité au produit et au design, un esprit logique et la maîtrise technique des solutions de no code", détaille le PDG de Cube.
Faire reconnaître ses compétences
A quel salaire peut prétendre un no codeur ? D'après Francis Lelong, "les rémunérations sont assez proches de celles d'un développeur traditionnel. Un maker no code junior est embauché entre 35 000 et 45 000 euros brut. Un freelance peut, lui, prétendre à un taux journalier moyen de 250 à 400 euros". Toute la difficulté consiste à faire reconnaître ses compétences. "On ne devient pas expert Bubble au bout de trois tutoriels", tranche le dirigeant.
A la différence des environnements de développement low-code comme Mendix ou OutSystems qui proposent quatre ou cinq niveaux de certification, leurs homologues du no code, plus récents, ne proposent pas, sauf exception, de certification. "Les éditeurs d'outils no code ont conscience de ce manque et sont en train de mettre en place des politiques de certification", rassure Francis Lelong.
En attendant, le secteur se structure et se professionnalise. En complément de l'association No-Code France, lancée en octobre 2021, un Syndicat français des professionnels du no code (SFPN) a été créé. La première grand-messe du no code en Europe (le Nocode Summit) se tiendra par ailleurs à Paris les 29 et 30 septembre prochains. "Que cela soit la France qui l'organise est un signe. Selon plusieurs éditeurs du domaine, notre pays figure en deuxième ou troisième position sur le marché mondial du no code", se réjouit Francis Lelong. "Nous sommes en tout cas en avance par rapport au Royaume Uni et l'Allemagne."