Extension d'audience en retail media : attention aux MFA
L'extension d'audience avec les données des retailers vaut de l'or. Mais ces prix élevés ne protègent pas toujours les campagnes, qui peuvent se retrouver sur des sites de très mauvaise qualité.
Le développement d'offres d'extension d'audience – c'est-à-dire d'affichage de campagnes aux audiences des retailers mais sur le web – est une des tendances récentes du retail media. Cette alternative coûteuse peut parfois s'avérer intéressante pour les marques. Mais une révélation récente de la plateforme américaine de vérification de la qualité publicitaire Adalytics a jeté un froid sur l'image ultra qualitative et brand safe de ces offres : les campagnes de dizaines de grandes marques du classement Fortune 500 sont affichées dans des sites de type made for advertising/made for arbitrage (MFA) dans le cadre de l'extension d'audience en retail media. Et ce, malgré la présence d'outils de vérification de la qualité publicitaire.
Le JDN a voulu enquêter sur ce sujet afin de savoir si cette mauvaise pratique du retail media est observée par les professionnels de l'achat média de ce côté-ci de l'Atlantique. Le résultat de nos échanges avec des professionnels qui souhaitent rester anonymes est sans appel : le risque pour l'annonceur de se retrouver dans un site de type ferme à impressions est réel en retail media, malgré son prix élevé et les discours rassurants des plateformes quant à la qualité de ces inventaires.
Le constat aux Etats-Unis
Les sites de type MFA sont conçus pour générer de l'argent à ses propriétaires en répondant à des logiques pures d'arbitrage : ces sites achètent du trafic à bas prix pour le revendre au prix fort, généralement en s'appuyant sur des pages saturées de publicité, des pubs vidéos en autoplay, un autorefresh agressif et des contenus médiocres qui nuisent le plus souvent à l'image de la marque. Cette pratique est favorisée et amplifiée par l'IA générative. Dans le cas du retail media, ces affichages de très mauvaise qualité peuvent également servir au retailer à s'attribuer des conversions qui en réalité sont organiques, comme l'indiquait à Adexchanger aux Etats-Unis à propos d'Amazon l'auteur de l'étude Adalytics.
Dans son rapport, Adalytics montre les images des publicités affichées sur des sites MFA ayant été achetées via le DSP et le réseau d'extension d'audience d'Amazon. Ces campagnes transitent également par de nombreux SSP et DSP, avec des rares exceptions, comme le couple Walmart/The Trade Desk, selon le mesureur. D'une manière générale (avec ou sans data retail), le MFA s'observe quel que soit le mode de commercialisation : programmatique sur l'open RTB, dans le cadre des places de marché privatives et même en gré à gré.
De grands groupes d'agences médias ne sont pas non plus épargnés par ces révélations, tout comme des éditeurs premium – il suffit de se souvenir de Forbes, accusé d'avoir maintenu pendant huit ans un sous-domaine bidon à de fins d'arbitrage. L'éditeur s'en défend et une enquête est ouverte par le Media Rating Council (MRC) aux Etats-Unis, notamment pour comprendre comment cela a pu passer sous les radars des outils d'ad verification.
Le constat en France
Le résultat de l'étude Adalytics n'a pas impressionné un vétéran de l'ad verification en France, Romain Bellion, CEO d'Adloox, qui propose une solution de blocage de ses sites MFA en pré-bid. "Nous observons ce problème depuis dix ans en France. Pour un client en tests chez nous récemment, le taux de MFA a varié de 5 à 40% en fonction du jour, du ciblage, du volume acheté, etc. avant optimisation (c'est-à-dire avant le déploiement de l'outil de blocage d'impressions en pré-bid, ndlr)", déclare-t-il. "Il existe entre 15 et 20 milliards de bid requests quotidiennes disponibles sur les MFA. Celui qui souhaite n'acheter que du MFA le fait sans aucune difficulté", complète-t-il.
Ce fléau, nous confirme-t-il, même s'il semble beaucoup plus développé aux Etats-Unis qu'en France, n'épargne ici aucun mode d'achat sur l'open web, qu'il soit en open RTB ou sur des places de marché dites privatives où pourtant les plateformes vendent l'image d'un contrôle maîtrisé de la qualité.
On sait d'ailleurs – de sources souhaitant rester anonymes qui nous l'ont démontré, que même des éditeurs premium et bien connus du grand public en France pratiquent "l'astuce" du sous-domaine, à l'instar de ce qui a été reproché à Forbes aux Etats-Unis.
Les régies de retail media ne jouent pas le jeu
Le directeur d'une agence proposant un service et une offre spécifique d'achat de retail media nous confirme qu'il n'est pas possible de s'assurer à 100% de la qualité des inventaires activés en extension d'audience en programmatique quand la campagne est opérée par la régie du retailer, modèle encore majoritaire selon lui. "Quand l'extension d'audience est pilotée par la régie du retailer, l'agence et l'annonceur ne contrôlent pas le cadre de diffusion. Les régies font de l'extension d'audience sur l'open RTB : même si elles nous fournissent des whitelists lorsque nous les leur demandons, et même si elles déclarent que cela se passe dans un cadre premium et maîtrisé, rien ne le garantit vraiment puisque aucune donnée granulaire et exhaustive sur les url où la campagne a été diffusée ne nous est fournie", déclare-t-il.
Une pratique confirmée par un autre patron d'agence : "La data dont disposent les régies des retailers est limitée. Pour s'assurer de toucher les plus gros volumes et de dépenser un maximum de budgets, certaines peuvent être tentées d'être moins regardantes sur les restrictions qualitatives. C'est une réalité que les régies des retailers n'admettront pas publiquement", déclare-t-il.
Par ailleurs, un professionnel bien placé pour connaître les mécanismes d'attribution en retail media nous confirme que les données granulaires sur les interactions générées par chaque publicité ne sont pas fournies par les régies alors que leurs technologies peuvent les collecter. "Il est tout à fait possible de tracker les clics et les expositions liés à une bannière publicitaire et à un ID shopper. Cette donnée granulaire existe mais elle n'est pas mise à disposition de la marque sauf en cas d'audit. A la place cette donnée est agrégée et livrée sous la forme d'indicateurs métier." Le diable se cache donc bien dans le détail.
Responsabilité partagée
Rendre les régies des retailers entièrement responsables de cette réalité ne serait pas juste car cela ne reflète qu'une partie du problème. Ce serait oublier que toute campagne est potentiellement exposée aux MFA, même quand elle est opérée par l'agence média : "Aujourd'hui la frontière entre un MFA et le site d'un éditeur de qualité est de plus en plus ténue et cela vaut pour le marché dans son intégralité. Des régies publicitaires spécialisées en native ads ou en vidéo outstream peuvent être elles aussi concernées par ces pratiques vu que l'inventaire de bonne qualité et qualifié est limité", explique le patron d'une autre importante agence.
En pratique, le marché publicitaire en ligne continue à se reposer en partie sur une longue chaîne de sous-traitance souvent happée par cette logique perverse de l'arbitrage. "Les plateformes SSP elles aussi sont concernées. Certaines peuvent être moins regardantes quant à la qualité de ces inventaires, afin de générer un maximum de ventes pour leurs éditeurs. Et celles qui imposent un cahier de charges strict ne disposent pas de ressources humaines pour vérifier que les éditeurs le respectent", ajoute-t-il.
"Une manière d'éviter cet écueil est de piloter soi-même la campagne en délimitant le cadre de diffusion à une petite poignée de partenaires connus et très premium, notamment en replay TV ou en TV segmentée", suggère un autre spécialiste.
L'arbitrage tout aussi présent chez les Gafam
Ce serait erroné de soutenir que le problème des MFA ne concerne que l'open web : les réseaux publicitaires des Gafam sont eux aussi soupçonnés de déployer ces pratiques d'arbitrage, selon nos interlocuteurs. Pour la petite histoire, dans le jargon de l'industrie l'expression "MFA" vient à l'origine de "Made for Adsense"… le programme de monétisation de petits et moyens publishers chez Google.